Afrique de l’Ouest
A Conakry, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya consolide son emprise sur la Guinée. La page du président Alpha Condé, qui s’était accroché au pouvoir, se tourne avec l’assentiment tacite de la communauté internationale

Le coup d’Etat est consommé en Guinée. Dans la nuit de dimanche à lundi, au terme d’une folle journée qui avait vu l’arrestation du président Alpha Condé et l’apparition sur les écrans du nouvel homme fort du pays, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, le journal guinéen Le Djely tournait déjà la page de l’ancien régime. Non sans amertume.
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«Cette manie de la soldatesque à faire irruption dans le champ politique et ces images de nos dirigeants que l’on montre à la face du monde sous leurs mauvais jours, voilà qui fige le continent africain», écrit le rédacteur en chef Boubacar Sanso Barry. Et de souligner qu’Alpha Condé est tout aussi responsable du «grand recul» de la Guinée. «La volonté du président de s’octroyer un troisième mandat a installé la Guinée sur des charbons ardents depuis le début de l’année 2019 […]. Il aura balisé, sans le vouloir, la voie pour ceux qui viennent de le renverser. Car aujourd’hui, c’est la mésentente qu’il aura instaurée dont se prévalent les nouveaux maîtres du pays.»
Triste fin politique pour celui qui avait si longtemps incarné l’opposition aux satrapes guinéens successifs et l’idéal d’une alternance démocratique. L’éternel opposant avait été élu démocratiquement en 2010, une première dans l’histoire depuis l’indépendance en 1958. La Guinée renoue ainsi avec ses vieux démons.
Ministres convoqués manu militari
Au lendemain de leur coup de force, les hommes de Mamady Doumbouya ont sommé les ministres et les préfets sortants de se présenter dans leur caserne. Parmi eux, il y avait le ministre de la Défense, qui assurait la veille que les mutins avaient été repoussés et que la situation était sous contrôle.
#Guinée — Les membres du gouvernement déchu escortés par des militaires et conduits à la base du Groupement des forces spéciales. #Kibaro pic.twitter.com/gi7pYZciiJ #Kibaro
— Thierno Diallo🇬🇳 (@cireass) September 6, 2021
Les dignitaires déchus ont dû remettre leur passeport et ont l’interdiction de sortir du pays. Le chef de la junte leur a assuré qu’il n’y aurait «pas de chasse aux sorcières» mais que la justice ferait son travail. Face aux ministres, Mamady Doumbouya a réitéré sa promesse de consulter les Guinéens sur une nouvelle constitution. Mais il s’est bien gardé de fixer la moindre échéance.
«C’est encore trop tôt», réagit Ibrahima Diallo, coordinateur de l’association Tournons la page en Guinée, qui s’était engagé contre le troisième mandat d’Alpha Condé. Il espérait lundi après-midi la libération de la centaine de détenus politiques, emprisonnés depuis les manifestations de 2019 contre Alpha Condé. En déplacement à Paris, l’activiste avait rédigé le 20 août un billet prémonitoire sur l’intervention de l’armée. Il veut croire que celle-ci aura retenu les leçons du passé et «ne se rendra pas impopulaire».
Quant aux réactions internationales au coup d’Etat, elles ont été convenues. La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, l’Union africaine, de même que l’ONU et la France, l’ancienne puissance coloniale, ont réclamé un retour à l’ordre constitutionnel et une libération du président Alpha Condé.
«Condamnations de principe»
«Il faut évidemment condamner les coups d’Etat. Car il peut y avoir un effet d’entraînement», analyse Gilles Yabi, fondateur de Wathi, un think tank basé à Dakar. Les faibles réactions aux coups de force ces derniers mois au Mali et au Tchad ont sans doute encouragé les putschistes. «Mais les positions réelles sont différentes des condamnations de principe, continue le chercheur. Et le président Condé avait lui-même commis un coup d’Etat constitutionnel pour se présenter une troisième fois. C’est un aveu d’échec pour les pays africains. Ils n’ont pas su condamner ces manœuvres et nous nous retrouvons avec ce coup d’Etat sur les bras.»
A Conakry, personne n’imagine un retour du président de 83 ans. «Il conserve bien entendu des partisans, y compris au sein de l’armée. Mais je ne les vois pas risquer leur vie pour réinstaller Alpha Condé», poursuit Gilles Yabi. Selon lui, la communauté internationale doit rester très vigilante: «Il ne faut surtout pas faire confiance aux militaires et ne pas leur laisser les mains libres sur les modalités de la transition.»
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«La Guinée n’a surtout pas besoin de sanctions, qui appauvriraient encore davantage la population», rétorque Ibrahima Diallo. Gilles Yabi estime que de toute façon la Guinée avec ses ressources minières est moins vulnérable aux pressions extérieures que le Mali, par exemple. La Russie, l’un des principaux clients pour la bauxite guinéenne, base de l’aluminium, a elle aussi réclamé le retour à l’ordre constitutionnel. L’approvisionnement de la Chine en bauxite dépendrait pour moitié de la Guinée. Lundi, les putschistes ont aussi tenté de rassurer les investisseurs étrangers, alors que le cours de l’aluminium atteignait un record depuis dix ans.