Romain Felber, entrepreneur au cœur du Congo
Portrait
Le fils de l'ancien conseiller fédéral socialiste neuchâtelois René Felber est installé depuis 1999 en Afrique. Après une mission hôtelière, il s'est lancé dans l'agrobusiness

Héritage familial? Le fils de l’ancien conseiller fédéral René Felber, décédé en 2020, partage aujourd’hui son temps entre la Suisse et, le plus souvent, la République démocratique du Congo (RDC). «Mon père nous a appris l’ouverture au monde. La frontière était plus lointaine», raconte cet énergique sexagénaire qui nous reçoit dans sa maison surplombant le lac de Neuchâtel. Le ministre des Affaires étrangères défunt avait beau s’être rendu plusieurs fois sur le continent, il avouait en famille ne «rien y comprendre».
«Moi je comprends que tout est différent», enchaîne le fils, presque aussi modestement. «On leur a imposé un modèle colonial dont ils peinent à se défaire. Heureusement que je suis Suisse et pas Belge, l’ancienne puissance coloniale. Les Congolais me considèrent un peu comme leur frère blanc», se réjouit-il.
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Après une carrière internationale comme «mercenaire économique», selon ses propres mots, Romain Felber s’est installé en RDC en 2010. Un pays paradoxal à la fois extraordinairement prometteur et désespérant pour sa corruption. Son mandat: redresser deux hôtels prestigieux, l’un dans la capitale, Kinshasa, et l’autre à Lubumbashi, à 2000 kilomètres de là. «J’ai été agréablement surpris par la qualité des collaborateurs locaux, loin des clichés sur l’Afrique. Sans eux, je n’aurais pas réussi ma mission. Et, au bout de cinq ans, je connaissais tout le monde», relate-t-il. Comprenez: les gens qui comptent.
«Il faut des relations»
S’il faut reconnaître une qualité à Romain Felber, c’est sa franchise. Pas tendre avec la classe politique qui défilait au Grand Hôtel de Kinshasa, à quelques exceptions, il reconnaît volontiers: «Pour faire des affaires en RDC, il faut des relations.» L’ancien hôtelier s’est depuis reconverti dans l’agrobusiness. «Un rêve de gamin et ma première formation», dit-il, fier d’avoir créé sa société dans le domaine à 25 ans. Près de quarante plus tard, Felber & Associés propose des conseils aux entrepreneurs et aux fonds qui veulent investir en Afrique. La société est également active dans l’immobilier, en plein boom à Kinshasa, dopé par les fabuleuses richesses de la RDC.
Romain Felber n’envisage pas une seconde de rentrer en Suisse, à part ponctuellement. Et pour cause: il s’est marié avec une Congolaise, ancienne mannequin, avec qui il a eu quatre enfants et avec laquelle il est associé en affaires. Odiane Lokako a aussi des relations. La semaine dernière, à Kinshasa, dans le cadre d’un sommet africain sur la «masculinité positive», elle promouvait sa fondation en faveur des femmes violées dans l’est du pays auprès du président sénégalais, Macky Sall.
Il fait mine de s’énerver que son épouse prenne toute la lumière. «Elle a son propre réseau. Quand une nuance m’échappe parce que je ne suis pas d’ici, elle m’explique», doit-il admettre. Lui non plus ne passe pas inaperçu du haut de sa stature longiligne. Mais il sait aussi fuir les réceptions kinoises. Il est intarissable sur son exploitation de cacao, de café et de coton, 50 000 hectares perdus dans la région du Bas-Uélé.
L’aventure
Après avoir pris l’avion jusqu’à Kisangani, au bord du fleuve Congo, il faut encore parcourir 600 kilomètres de pistes et traverser d’énormes rivières en barge. «C’est un incroyable gymkhana et une école de la débrouille», s’enthousiasme-t-il. Contrairement aux nouvelles charriées de l’immense et troublée RDC, la région est très sûre, assure l’entrepreneur. «La plus grande menace, c'est les autorités locales, prévient-il. Vous n’êtes jamais à l’abri des tracasseries. Vous pouvez vous faire saisir votre marchandise. Si vous ne pouvez pas appeler quelqu’un de bien placé, vous la perdez.»
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Les cultures ne sont pas encore toutes rentables, mais Romain Felber rappelle que de grandes fortunes ont été autrefois bâties au Congo grâce à l’agriculture. «Dans le futur, la nourriture et l’eau auront une valeur inestimable», parie-t-il. Ce fils de socialiste assume son rôle de businessman. «Nous ne sommes pas une ONG, mais nous faisons attention à intégrer la population locale. Nous apportons des intrants comme des engrais chimiques. Les petits producteurs doivent pouvoir vivre de leur travail.» A ses yeux, le contre-modèle, c'est les sociétés minières qui exploitent les ressources de la RDC avec un statut quasiment extraterritorial. «Ma hantise est qu’ils découvrent des gisements dans ma concession. Je perdrais tout, car, en RDC, le sous-sol a toujours la priorité», redoute-t-il.
Avec ses innombrables richesses et sa population très jeune, la RDC a «tout pour décoller», et Romain Felber compte bien y contribuer. «Je ne me vois pas finir ma vie dans un mouroir en Suisse, se projette-t-il. En RDC, il y a une telle énergie positive, malgré le dénuement général», dit-il, surpris par la patience des Congolais face aux promesses trahies du développement. «Cinq minutes dans la rue suffisent à me recharger pour toute la journée.»
Profil
1958 Naissance au Locle.
1983 Création de sa première société dans le domaine agroalimentaire.
2008 A la tête d’un groupe immobilier aux Emirats arabes unis.
2010 Administrateur de deux hôtels à Kinshasa et Lubumbashi.
2015 Achat de terres dans le Bas-Uélé, en RDC.
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