De nombreux expatriés et du personnel humanitaire, ainsi que les 60 000 habitants de la ville de Palma, ont été surpris par l’attaque, lancée mercredi, par les Shebab («les jeunes», en arabe), une organisation qui contrôle une bonne partie de la zone côtière de la province à majorité musulmane du Cabo Delgado, dans l’extrême nord du Mozambique. L’attaque contre la ville de Palma, tombée samedi aux mains des rebelles, représente un tournant décisif: elle est située à 10 km du site d’exploitation de l’entreprise française Total, qui a découvert un énorme gisement gazier offshore et va y investir 26 milliards de dollars. La veille de l’attaque, Total avait annoncé la reprise des travaux, suspendus fin décembre en raison de l’insécurité.

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Quelque 150 à 200 combattants ont mis en déroute un millier de soldats gouvernementaux, déployés autour de la ville et des installations gazières. Après avoir coupé les communications, ils auraient pillé un poste de police et deux banques, avant de s'en prendre aux habitants qui n’ont pas fui à temps. «Ils ont été de maison en maison pour exécuter les habitants», affirme Jasmine Opperman, une experte sud-africaine auprès de l’observatoire Acled (Armed Conflict Location and Event Data Project).

Mercenaires sud-africains

Samedi, les rebelles ont incendié l’hôtel Amarula, où 192 personnes s’étaient réfugiées dans l’attente de secours par bateaux. Des hélicoptères opérés par la société sud-africaine Dyck Advisory Group (DAG), qui épaule la police mozambicaine, n’ont pu évacuer que 20 clients de l’hôtel. «Nous ne pouvons prendre que cinq ou six personnes par voyage», a expliqué Max Dyck, le directeur de DAG. Les autres réfugiés ont pris la fuite, vendredi, dans 17 camions. Le convoi a été attaqué et seulement sept ou huit camions ont réussi à passer. Les autres ont disparu avec leurs passagers. Jusqu’à présent, seule la mort d’un Sud-Africain de 40 ans a été confirmée. Le père et le frère de la victime n’ont eu la vie sauve qu’en se cachant dans la forêt. Le personnel sur la base de Total a lui été, en partie, évacué par la mer.

Selon Jasmine Opperman, les autorités du Mozambique et la communauté internationale auraient dû prendre les devants. «Trois jours avant, il y avait des rumeurs concernant une attaque, mais rien n’a été fait. Il faudrait une intervention de l’ONU ou de l’Union européenne. L’attitude de Maputo met toute la région en péril.» Le Mozambique s’oppose, en effet, à toute intervention internationale, en dehors d’un appui à la formation de son armée. Le 15 mars, après avoir ajouté les Shebab sur la liste des organisations terroristes étrangères, faisant partie de l’Etat islamique, Washington a dépêché 15 bérets verts sur place. Une société sud-africaine, Paramount, a aussi livré des hélicoptères et forme des pilotes. Impliqués sur le terrain depuis un an, les 70 mercenaires de DAG (accusés par un rapport d’Amnesty International d’avoir tiré sur des civils) devaient, eux, plier bagage, le 6 avril.

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Depuis la prise du port de Mocimboa da Praia en août dernier, les insurgés n’ont cessé de gagner du terrain. Mais une réponse sécuritaire ne sera pas suffisante, comme l’a admis Michael Gonzales, secrétaire adjoint au Bureau des affaires africaines du gouvernement américain: «Il faut contrer les messages de l’Etat islamique en offrant de meilleures opportunités économiques» aux communautés locales. La province du Cabo Delgado est l’une des plus pauvres du Mozambique.

Un groupe local mais des renforts africains

«La vie à Palma est très difficile: l’essence coûte dix fois plus cher qu’ailleurs et il n’y a plus d’électricité depuis des mois. Jusqu’à présent, les habitants n’ont pas bénéficié de l’exploitation gazière toute proche», souligne Alain Kassa, chef de mission de Médecins sans frontières au Mozambique. Comme le note Alex Vines de l’institut de recherche Chatham House, «les Shebab ont prospéré sur la mauvaise gouvernance et les inégalités sociales criantes. La grande différence avec l’insurrection islamiste au Sahel est que le président du Mozambique, Filipe Nyusi, vient lui-même de cette région excentrée. Mais il est catholique et l’exploitation du gaz a avivé les frustrations locales.» Selon des témoins locaux, les assaillants qui ont pris Palma s’exprimaient dans les langues locales, mais aussi en swahili et en arabe. Les Shebab auraient notamment reçu le renfort de Tanzaniens, de Congolais des Forces démocratiques alliées (ADF) du Kivu (également ralliés à l’Etat islamique) et même de Sud-Africains.