Tchad
L’avocate tchadienne Jacqueline Moudeina réagit au décès de l’ancien dictateur Hissène Habré, qui purgeait une peine à perpétuité au Sénégal. Sa condamnation en 2016 avait été une première victoire pour les victimes de son règne sanglant

Hissène Habré est mort dans un hôpital de Dakar des suites du Covid. Agé de 79 ans, l’ancien dictateur tchadien avait été condamné en 2016 à la perpétuité au Sénégal par un tribunal spécial créé par l’Union africaine pour les crimes contre l’humanité et de guerre commis durant son règne entre 1982 et 1990. Ce verdict contre l’ancien chef d’Etat qui a longtemps coulé un exil tranquille au Sénégal était une première en Afrique.
Représentant de très nombreuses victimes tchadiennes, l’avocate Jacqueline Moudeina, jointe à N’Djamena, souligne que le combat pour la justice est loin d’être terminé. Le pays sahélien n’est toujours pas sorti du cycle infernal de l’autoritarisme et des soulèvements armés, avec la mort d’Idriss Déby tué par des rebelles en avril dernier, qui avait renversé son ancien compagnon d’armes Hissène Habré en 1990, remplacé par son fils.
Le Temps: Quelle est votre réaction à la mort d’Hissène Habré?
Jacqueline Moudeina: Un décès est toujours motif de tristesse, malgré tous les crimes d’Hissène Habré. Son règne aura été relativement bref mais incroyablement sanglant. Plus de 40 000 personnes ont été tuées dans la répression et des milliers d’autres ont disparu. Il nous a fallu 20 ans pour le faire condamner mais le combat n’est pas terminé. Les victimes doivent maintenant être indemnisées. Le temps presse. Au début, je représentais 7000 d’entre elles. Chaque mois, nous déplorons des décès. Les rescapés des geôles d’Hissène Habré en sont ressortis très amochés.
Quelles sont les chances d’obtenir un jour ces indemnisations?
Ces indemnisations sont prévues depuis 2016, date à laquelle les pays de l’Union africaine ont décidé de créer un fonds fiduciaire pour les victimes d’Hissène Habré. Mais à ce jour ces dernières n’ont pas reçu un seul sou. Des procédures pour obtenir des dédommagements ont aussi été lancées au Tchad, pour l’instant sans succès. Voilà désormais notre combat. La condamnation d’Hissène Habré a constitué un tournant pour la justice internationale en Afrique mais aussi dans le monde. Mais, tant que les victimes n’auront pas été indemnisées, la justice sera inachevée.
Le Tchad a-t-il tiré des leçons du procès Habré?
Malheureusement aucune. Le combat contre l’impunité est toujours autant d’actualité.
C’est un constat d’échec, non?
Je ne crois pas, car qu’un ancien chef d’Etat puisse être jugé et condamné était une énorme victoire en soi. Cela n’était jamais arrivé en Afrique et peut-être aussi dans le monde.
L’ancien dictateur conserve-t-il des partisans? Vous sentez-vous toujours menacée, vous qui avez échappé à une attaque à la grenade en 2001?
Quand vous exigez la justice au Tchad, vous êtes dans la ligne de mire. Les menaces n’ont pas disparu. Car le Tchad est contre la justice.