Cette réserve rend la popularité de Paul Kagame difficile à juger. Alors que certains le créditent de réformes économiques salutaires pour l’un des pays les plus pauvres du monde, d’autres lui reprochent d’investir de façon excessive dans les infrastructures au détriment de l’éducation ou de la lutte contre la misère. En témoigne le Kigali Convention Center, inauguré en grande pompe en décembre pour la modique somme de 800 millions de dollars alors que plus de 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Des positions tranchées
Ici, tout est blanc ou noir. Les faits sont interprétés de manière radicalement différente en fonction des positions. Pour les observateurs européens, l’opposition politique et la liberté de la presse, facteurs nécessaires au bon fonctionnement d’une démocratie, n’existent pas au Rwanda. Pour les partisans de Kagame, le pays, avec son assurance maladie universelle et son parlement doté du plus grand nombre de femmes au monde, est un cas unique, impossible à comprendre depuis l’étranger.
Chercheur à l’IPAR (Institute of Policy Analysis and Research), avocat des droits humains et conseiller en communication du gouvernement, Thierry Gatete figure parmi les partisans du président. «Kagame ne serait pas là si la majorité de la population ne le voulait pas», explique-t-il. Sa veste de costume posé sur sa chaise, le jeune homme en chemise pianote activement sur son ordinateur portable.
Interrogé sur les violences attribuées au régime par des organisations comme Human Rights Watch ou Amnesty International, il les balaie du revers de la main. «Combien de policiers tuent des Noirs aux Etats-Unis? Si Donald Trump était chaque fois tenu pour responsable, il passerait son temps à s’en occuper. Paul Kagame n’est pas un surhomme. Le policier du coin ne l’a probablement jamais rencontré.»
Démocratie occidentale remise en question
Thierry Gatete estime que les Occidentaux ont un a priori contre le président. «C’est dans les années 92 et 93, qui ont immédiatement précédé le génocide, que le Rwanda a eu les meilleurs indicateurs démocratiques», rappelle-t-il outré. Pour le chercheur et de nombreux intellectuels rwandais, la démocratie occidentale n’est simplement pas adaptée à la réalité locale. «Ce type de régime est toxique pour un pays comme le nôtre, poursuit-il. On l’a essayé et on a vu le résultat.»
L’argument fait bondir Marc*, un chercheur anglo-saxon spécialisé dans le Rwanda. «Il est trop facile de se cacher derrière ce genre d’argument, dénonce-t-il. La démocratie n’existe pas dans ce pays. Il n’y a pas de véritable parti d’opposition. Et les journalistes critiques sont soit morts, soit en exil, et l’élection de cette année sera une formalité.» Aux yeux de cet observateur, la situation est grave. Les gens vivent dans la peur et le contrôle social ne fait qu’empirer.
«Le Front Patriotique Rwandais (FPR) a gagné la guerre et n’est pas prêt à laisser le pouvoir à qui que ce soit», assure-t-il. Marc en veut pour preuve la modification de la constitution, approuvée en référendum, qui permet à Paul Kagame de se représenter cette année et de gouverner potentiellement jusqu’en 2034.
Candidate écartée
L’un des rares opposants politiques tolérés, Frank Habineza, chef du parti vert, s’est opposé à cette modification. Un choix qui lui a valu de subir des menaces et de nombreuses intimidations. Modeste, il espère faire entre 5 et 6% lors de la présidentielle. «Notre campagne a mal commencé, explique cet ancien ministre du FPR. Il y a eu des violences et des maires nous ont mis des bâtons dans les roues. Heureusement, elle s’est bien terminée.» L’homme a-t-il obtenu cet apaisement en assouplissant son discours? Certaines ONG, comme Amnesty International, le pensent.
Une autre candidate, Diane Rwigara, fille d’un homme d’affaires disparu mystérieusement dans un accident de voiture en 2015, a été écartée du scrutin par la commission électorale. Etait-elle trop indocile? Là aussi, les discours varient du tout au tout en fonction des interlocuteurs. Ambassadeur de l’Union Européenne à Kigali, Michael Ryan incarne le problème. Pour les observateurs extérieurs, il est trop complaisant avec le régime. Pour les partisans du FPR, il est l’ennemi du pouvoir rwandais.
Alors qu’il nous reçoit dans son bureau, le quinquagénaire prend la situation avec un flegme tout britannique: «Aujourd’hui, il est impossible de savoir qui a raison ou tort au Rwanda. Les opinions sont trop polarisées.» Officiellement confiant que le vote se déroulera dans le calme, le diplomate a pris la décision de ne pas solliciter d’observateurs électoraux. «Cela ne veut pas dire que nous ne suivons pas la situation de près. Le Rwanda est sur la bonne voie mais il doit encore faire de nombreux progrès en termes d’ouverture économique et d’espace démocratique.»
* Prénom d’emprunt