Il a suffi d’un article de l’agence de presse Reuters le 13 septembre dernier, citant des sources anonymes et faisant état de négociations avancées entre le Mali et la société de mercenaires russes Wagner, pour déclencher une tempête de réactions. Les Etats-Unis, l’Allemagne et l’ONU ont tour à tour mis en garde les militaires au pouvoir à Bamako contre une telle collaboration. A les entendre, l’arrivée de mercenaires russes – le chiffre d’un millier a été articulé – mettrait en péril l’engagement des Occidentaux contre les djihadistes qui contrôlent de facto une grande partie du territoire malien.

Mais la plus véhémente est bien sûr la France. L’ancienne puissance coloniale est présente militairement dans le pays depuis 2013, quand elle avait stoppé l’avancée des djihadistes vers la capitale. Lundi, Florence Parly, la ministre française des Armées, s’est rendue à Bamako pour mettre en garde les colonels maliens au pouvoir après deux coups d’Etat successifs en août 2020 et mai 2021. La ministre dit avoir insisté sur le fait «qu’au moment où jamais la communauté internationale n’a été aussi nombreuse» à combattre les djihadistes au Sahel, le choix de Wagner «serait celui de l’isolement».

Un retrait qui ne veut pas dire son nom

Ce que ne dit pas la ministre, c’est que l’engagement français aux côtés du Mali vacille. En juin dernier, à moins d’un an de la présidentielle française, Emmanuel Macron a pris prétexte du second coup d’Etat malien pour annoncer un «redéploiement» des forces françaises au Mali. Paris refuse de parler d’un retrait, même partiel. De fait, les soldats tricolores abandonneront d’ici l’an prochain les bases isolées de Kidal, Tombouctou et Tessalit, dans le nord du pays, pour se concentrer sur la zone, plus au sud, des trois frontières avec le Niger et le Burkina Faso.

Les Européens, censés à l’avenir davantage épauler la France, s’interrogent eux aussi. L’humiliant retrait occidental d’Afghanistan a servi de révélateur. L’effondrement éclair du gouvernement afghan face aux talibans a montré toute la difficulté de construire une armée et des institutions robustes.

Les sirènes de Moscou

L’éventualité d’un rapprochement entre Bamako et Moscou est d’autant plus prise au sérieux que les putschistes maliens se sont toujours montrés sensibles aux sirènes russes. Le ministre de la Défense malien, le colonel Sadio Camara, s’est rendu en Russie le 4 septembre dernier. Les divergences sur un renversement des alliances du Mali auraient été l’une des causes du second coup de force des colonels maliens, qui avaient évincé le gouvernement civil de transition en mai dernier.

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La Russie sert aussi d’épouvantail aux militaires maliens. Selon une enquête du média en ligne Daily Beast, l’armée malienne a organisé en mai dernier une manifestation soi-disant spontanée réclamant une intervention de la Russie. Une manière aussi de mettre en garde la communauté internationale qui montre des signes de lassitude face à la mauvaise gouvernance du pays et les coups d’Etat à répétition.

Le laboratoire centrafricain

Le Mali passant de la sphère d’influence française à celle de la Russie? Le scénario n’est pas une vue de l’esprit depuis que Moscou a pris pied en Centrafrique. Dans cet ancien pré carré français, les instructeurs russes et les mercenaires de Wagner ont montré leur efficacité. Avec l’aide des Casques bleus onusiens et de renforts rwandais, les Russes sont parvenus à faire reculer les rebelles qui menaçaient la capitale Bangui en décembre dernier. Même si la même ONU dénonce les exactions commises par les Russes dans ce conflit.

Le Kremlin prétend n’avoir rien à faire avec le groupe Wagner. La société serait en réalité dirigée par un proche de Vladimir Poutine. L’utilisation de mercenaires privés permet de nier les engagements militaires à l’étranger, comme auparavant en Ukraine ou en Libye. «La Russie ne négocie pas de présence militaire au Mali», a déclaré mercredi dernier le porte-parole du Kremlin. Interrogé par le magazine Jeune Afrique, le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra jurait lundi n’avoir «rien signé avec Wagner». «Nous avons en Centrafrique des sociétés qui se sont créées conformément à la loi et qui agissent sur des marchés libéralisés», justifiait-il.

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A Bamako, on répète que rien n’a été décidé concernant Wagner. Les militaires disent aussi que le choix des «partenaires» étrangers relève de la «souveraineté» du Mali. Ils voient dans ces «rumeurs» une tentative de «dénigrer le pays». La junte malienne est effectivement sous pression, pas seulement des groupes djihadistes mais aussi de la communauté internationale. Laquelle réclame l’organisation d’élections en février prochain pour redonner le pouvoir au civil, comme prévu lors de la charte de transition consentie par les militaires. Le scrutin doit être précédé d’une réforme électorale. Or le président de transition, le colonel Assimi Goïta, montre peu d’empressement à préparer ces échéances électorales. La junte malienne espère peut-être aussi que les partenaires russes seraient moins regardants sur les exigences démocratiques.