La colère grandit au Zimbabwe. Le pays, dirigé d’une main de fer par Robert Mugabe, le plus vieux chef d’Etat du monde (92 ans), est plongé dans une profonde crise économique. Début avril, une première manifestation répondant à l’appel du principal mouvement d’opposition MDC (Mouvement pour un changement démocratique) réunissait 2000 personnes brandissant des pancartes et criants des slogans anti-Mugabe. Les protestations se sont multipliées depuis, avec à leur tête un pasteur évangéliste Evan Mawarire. Il s’est imposé comme le leader de cette fronde citoyenne. Il poste, en avril, une vidéo sur Facebook qui fera plus de 10 000 vues. Début juillet, il appelait à une grève générale qui vida les rues d’Harare le temps d’une journée.

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Les églises, en pointe de ces mouvements, ont fait savoir leur mécontentement en rédigeant un communiqué appelant à l’unité nationale. Mercredi, Mugabe a menacé de représailles tout opposant, affirmant qu’il «savait comment gérer les ennemis qui ont tenté de mener un changement de régime dans le pays.»

A la place de l’union nationale, la corruption

Le communiqué compte neuf signataires, dont le Conseil des Eglises du Zimbabwe, la Conférence des Evêques catholiques, l’Association Evangélique ou encore le forum des dirigeants de l’église œcuménique. «Notre société doit être réunie autour de valeurs communes, perdues depuis longtemps, explique le révérend Kenneth Mtata, secrétaire général du Conseil des Eglises du Zimbabwe. La situation économique catastrophique a entraîné une culture individualiste. La population est dans le besoin.» Il poursuit en expliquant que la corruption a gangrené le peuple.

«Tout se monnaie, dans les plus hautes sphères du pouvoir comme dans la rue. L’instinct de survie a pris le dessus. Il n’y a plus d’union nationale.» A l’origine de cette crise, il y a la reforme agraire lancée par Mugabe dans les années 2000. Le but était de redistribuer les exploitations de grands fermiers blancs à la majorité noire, notamment à certains vétérans sans qualification ni capitaux pour les exploiter. Elle a eu pour effet de plonger le pays, ancien grenier à céréales de l’Afrique, dans une crise dont il ne s’est jamais relevé. Récemment, les salaires des fonctionnaires n’ont plus été payés, conduisant à la grève du 6 juillet.

Selon le révérant, le climat de ras-le-bol qui règne depuis quelques mois dans le pays serait propice pour entreprendre une réforme. «La religion rassemble. Il est de notre devoir de reprendre notre rôle.» Comment? «Nous devons former à nouveau nos pasteurs, réadapter nos homélies et faire passer ce message dans nos écoles: il ne faut plus penser à son intérêt personnel et à nouveau voir notre pays comme un tout. Avec, pour finalité, le départ du président Mugabe. La politique sert à décider qui gouverne. Les églises se concentrent sur comment le gouverner.» Selon Kenneth Mtata, Mugabe doit être inclus dans le dialogue. «C’est le meilleur moyen de réduire la corruption et la crise économique.»

Réseaux sociaux, facteur de mobilisation

Les églises disent ne pas vouloir s’immiscer dans la politique. Arrêté mi-juillet, le pasteur Evan Mawarire a été relâché après quelques jours et se trouve désormais en Afrique du Sud. Comme il l’a expliqué à l’AFP, ce séjour était prévu depuis longtemps. «Il dit tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas, poursuit Kenneth Mtata. Les réseaux sociaux lui ont permis de mobiliser la jeune génération. Mais personne n’avait imaginé un tel impact sur la population.» Olivier Bauer, professeur de théologie et sciences des religions à l’Université de Lausanne, n’est cependant pas surpris.

«Dans certains pays africains, il n’y a pas de syndicats ou de partis politiques. Les églises sont donc une structure alternative au pouvoir politique. Elles représentent souvent l’opposition. Leurs leaders sont dotés d’un charisme particulier et d’une certaine autorité morale.» Le succès d’Evan Mawarire vient de sa capacité à convaincre et galvaniser la foule, explique-t-il. «Lorsque les religieux s’imposent au sein de leur église, ils le font souvent aussi en politique.»