Alerte rouge en Estonie
Géopolitique
L’élection de Donald Trump a ouvert une période de peurs et d’incertitudes dans les Pays baltes où les Etats-Unis sont le principal garant de la sécurité du pays face à la Russie

Samedi soir 3 décembre à Tallinn, la capitale estonienne. Alors que touristes et hipsters locaux affluent vers la friche industrielle de Telliskivi, le dernier quartier à la mode, des activités d’un tout autre genre se déroulent à quelques encablures de là, à Hirvepark, un espace vert au pied de la vieille ville. Des hommes et des femmes lourdement armés s’affairent, des infirmiers portent des civières pendant que les ambulances militaires font chauffer leurs diesels. Pendant la nuit, alors que les fêtards iront dormir, ils vont s’employer à parer une infiltration ennemie, à «sécuriser» le port et les principaux bâtiments administratifs de la ville, à évacuer leurs premiers blessés.
Peuplée d’à peine 1,3 million d’habitants – dont un gros quart de russophones –, l’Estonie a toujours vécu la peur au ventre face à son grand voisin russe. Mais, depuis l’élection surprise de Donald Trump aux Etats-Unis, cette peur est montée encore d’un cran. «La nervosité est palpable. Parce que le danger est réel. Tout le monde ici voit le chaos actuel à Washington comme une opportunité pour Vladimir Poutine. Et la période de la passation des pouvoirs est particulièrement propice», estime l’un des politologues les plus écoutés du pays, Ahto Lobjakas.
«Je ne veux pas provoquer une guerre nucléaire»
Comme beaucoup d’autres Européens de l’Est, les Estoniens ont suivi avec beaucoup d’appréhension les déclarations du candidat Trump pendant la campagne électorale: son admiration pour Poutine, son souhait de désengager les Etats-Unis de l’OTAN, véritable parapluie sécuritaire pour la région. Une phrase, prononcée par l’un de ses principaux conseillers, Newt Gingrich, est restée dans toutes les mémoires. L’Estonie? «Je ne suis pas sûr de vouloir provoquer une guerre nucléaire à cause d’un endroit qui se trouve dans la banlieue de Saint-Pétersbourg», a dit cet homme, pressenti comme l’un des candidats au poste de secrétaire d’Etat.
Depuis, les Estoniens scrutent avec une attention toute particulière les choix que fera le président Trump, croisant les doigts qu’ils ne soient pas ceux que le candidat a formulés pendant la campagne. «Heureusement que nous avons aussi beaucoup d’amis à Washington», tempère l’ancien ministre de la Défense, Hannes Hanso, aujourd’hui à la tête de la Commission de sécurité au parlement, de retour d’un voyage outre-Atlantique lors duquel il se targue d’avoir rencontré une douzaine de sénateurs qui lui ont réaffirmé le soutien américain.
«Les Russes ont toujours essayé d’exploiter la confusion»
Toujours est-il que l’onde de choc de l’élection de Donald Trump ne cesse de propager dans les Pays baltes. N’est-ce pas l’occasion rêvée pour le Kremlin d’envoyer ses «petits hommes verts» (ces commandos sans signes distinctifs qui ont envahi en 2014 la Crimée), dans le golfe de Finlande? Assis au dernier étage d’un immeuble ultramoderne, le ministre des Affaires étrangères estonien, Sven Mikser, choisit soigneusement ses mots. Mais il ne dit pas autre chose: «Les Russes ont toujours essayé d’exploiter la confusion, ou la division, qui peut parfois régner au sein des alliés occidentaux. De façon évidente la période de transition entre Barack Obama et le nouveau président élu est une opportunité pour eux. Vont-ils tenter quelque chose? Je ne dis pas qu’ils vont le faire, mais qu’ils peuvent le faire. C’est pour cela qu’il s’agit d’une période de risque accru, où nous devons être particulièrement alertes et vigilants», poursuit-il.
Déploiement de militaires français et britanniques au printemps 2017
Ce jeune ministre issu du parti social-démocrate du pays sait de quoi il parle: il a occupé le poste de la Défense et, quelques années auparavant, a représenté son pays auprès de l’Otan. Sans rentrer dans les détails, il affirme que les Estoniens sont prêts à se défendre, comme ils l’ont toujours été. La petite armée estonienne (quelque 5000 hommes), la réserve et, surtout, les nombreux volontaires du pays sont sur le pied de guerre et multiplient des exercices qui ont gagné en intensité et en réalisme. Opérations de sabotage, conflits conventionnels et «hybrides», cyberattaques… L’Estonie a déjà une longue expérience en la matière et a acquis un savoir-faire certain. Mais face à une attaque massive, et sans le soutien des alliés occidentaux, tout le monde sait ici que le pays ne peut pas tenir plus d’une demi-journée. L’investiture de Trump aura lieu le 20 janvier 2017. Au printemps de cette même année, quelque 800 militaires (500 Britanniques et 300 Français) seront envoyés en Estonie dans le cadre du déploiement avancé des troupes de l’Otan dans la Baltique. Ils seront équipés de chars et de blindés de combat. D’ici là, les Estoniens retiennent leur souffle.