«Al-Qaida tue le tourisme au nord du Niger»
afrique
Le maire d’Agadez, Elh Yahaya Namassa Kane, estime que la France ne remplit pas son devoir moral
Samedi tombaient des nouvelles rassurantes au sujet des sept otages, dont cinq Français, enlevés par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) voici un mois. Ils sont tous en vie. Elh Yahaya Namassa Kane, maire d’Agadez, une ville au nord du Niger, était de passage à Lausanne dans le cadre de l’Assemblée internationale des maires francophones, en marge du sommet de Montreux. Il livre son analyse.
Le Temps: Depuis quand avez-vous entendu parler d’AQMI?
Elh Yahaya Namassa Kane: C’était en décembre 2009, quand des terroristes ont attaqué et tué quatre touristes saoudiens dans la région de Tillabéry, au nord-ouest du Niger. Ils se réclamaient d’Al-Qaida. On disait déjà qu’ils venaient du Mali. Aujourd’hui, le phénomène a pris de l’ampleur.
– A Agadez, comment AQMI est-elle perçue?
– Comme une bande de terroristes qui tente d’utiliser une religion pour légitimer sa cause. 90% des Nigériens sont musulmans. Ils pratiquent un islam modéré qui, comme le christianisme, prêche la tolérance. Dans les mosquées, les imams condamnent AQMI. Mais je crains que certains Nigériens ne soient tentés par leur appel au terrorisme. Agadez vit du tourisme qui, par leur faute, disparaît. La saison touristique est normalement vécue comme une fête car chacun y trouve son compte. Aujourd’hui, les Blancs n’osent plus venir et de nombreux expatriés rentrent chez eux.
– Comment faites-vous pour contrer les terroristes?
– Nous essayons de collaborer au maximum avec la population en lui demandant de nous signaler toute activité suspecte. Mais nous manquons de moyens. La région est si vaste, les gens ont besoin de téléphones satellites pour nous contacter, ce qu’ils n’ont pas. De plus, à Agadez, tout le monde se connaît et les gens n’osent pas procéder à des dénonciations à la police. Les gens craignent des représailles et la police n’est pas toujours capable d’assurer leur sécurité. C’est pourtant sur la collaboration avec la population que nous comptons le plus.
– Envisagez-vous une riposte militaire?
– Je ne pense pas que ce soit la meilleure solution, cela pourrait tuer des otages. Or notre premier objectif est de les faire libérer en vie. Autant négocier et leur donner de l’argent si nécessaire. Cela créera un précédent mais toutes les mesures sont prises pour éviter une nouvelle prise d’otage. La compagnie minière Areva a renforcé la sécurité autour d’Arlit et à Agadez, dans les quartiers où vivent les expatriés vivent, des dizaines de patrouilles militaires circulent à travers la ville jour et nuit.
– Pour lutter contre AQMI, on parle d’une collaboration entre le Niger, la Mauritanie, l’Algérie et le Mali.
– Il faut la renforcer, notamment aux postes frontières. Les principales pistes doivent être mieux contrôlées. C’est difficile, car on ne sait pas où les terroristes se replient, sans doute au Mali ou en Algérie.
– Comme se passe la collaboration avec la France?
– La France n’en fait pas assez. Elle cherche d’abord à retirer ses ressortissants et laisse le feu brûler plutôt que de nous aider à l’éteindre. Les Nigériens ont pourtant aidé la France pendant la Seconde Guerre mondiale. La France ne remplit pas son devoir moral vis-à-vis de son passé. Au contraire, trop de discours stigmatisent les Touaregs parce que les prises d’otages se sont déroulées dans leur région. Est-ce qu’on accuse les Parisiens parce qu’il y a eu des attentats à Paris?
– Il y a des rumeurs de coups d’Etat au Niger.
– Officiellement, il ne se passe rien. Mais dans les journaux, on lit que certains militaires s’entraînent. Il s’agirait de proches du président qui jugent que la période de transition vers la démocratie est trop courte. En réalité, ils veulent le pouvoir. S’ils faisaient un coup d’Etat, le Niger reculerait de 50 ans et la lutte contre AQMI en prendrait un sérieux coup.