«J’arbore le drapeau afghan pour montrer au monde que nous sommes unis, que nous faisons la paix», crie un homme âgé, les yeux pleins de joie. Il revêt un habit traditionnel et porte les couleurs nationales. Il danse sur des chansons en pachto, des hymnes à la paix, sur une scène décorée de colombes et d’affiches où l’on peut lire «La paix est notre droit».

Dans la région du Nangarar, le village de Deh Amanullah Khan n’est pas complètement sous contrôle du gouvernement, mais plusieurs figures importantes du pays ont organisé une grande manifestation pour fêter la paix. Ils sont arrivés par centaines en attendant la signature samedi au Qatar du traité de paix entre les talibans et les Etats-Unis.

Cet accord mettrait fin à dix-neuf ans d’occupation contre la promesse des talibans d’empêcher l’émergence d’un foyer terroriste en Afghanistan. Ce sont les deux points essentiels, parmi une série d’autres requêtes des talibans comme le changement de Constitution, leur intégration politique et l’élargissement de leurs pouvoirs. Mais cela ne se concrétiserait qu’après des négociations entre partis politiques afghans, gouvernement, société civile et talibans à partir du mois de mars.

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Liesse générale

Il aura fallu dix-huit mois de tractations et d’interruptions, la dernière décrétée par Donald Trump en septembre 2019, pour parvenir à un accord. Les négociateurs ont créé la surprise dans le pays il y a deux semaines: d’abord en décidant d’une période de «réduction de la violence» de sept jours qui a permis de faire passer le nombre quotidien de tués de 300 à 10 et les attentats de 70 à 7. Mais, surtout, en annonçant une date pour la signature de l’accord. D’où la liesse générale.

A Deh Amanullah Khan, on se laisse aller à l’attan, la danse traditionnelle afghane. Les drapeaux bleus, symboles de paix, sont exhibés à côté des drapeaux afghans. Les gens scandent «Nous voulons la paix» et prennent des photos avec leur héros Omar Zakhilwal, ancien ministre et ambassadeur au Pakistan. Il est l’un des organisateurs des festivités. Dans un village éloigné de tout, les habitants n’ont jamais rencontré d’étranger qui n’était pas un soldat. Nurazam reprend sèchement son ami Abdelhaq, après qu’il a affirmé que «les troupes étrangères sont venues apporter la paix». «Les étrangers ont détruit le pays. Il est temps pour eux de partir. Nous, Afghans, devons nous réconcilier, car c’est notre sang qui a coulé. Les étrangers nous ont divisés et ont accaparé les richesses», déclare Nurazam.

Le ressentiment est dans toutes les bouches. Malgré tout, la joie, surtout celle des jeunes qui n’ont jamais goûté à la paix, éclipse les pensées négatives. «Durant ces sept jours de réduction de la violence, les gens ont découvert quelque chose d’inhabituel: la paix. C’est pour cela qu’ils expriment leur bonheur», s’exclame le jeune Shir Ali.

Négociations entre Afghans

«La paix ouvre la porte à des négociations internes à l’Afghanistan», observe Omar Zakhilwal. «L’invasion occidentale a créé un conflit multidimensionnel. Elle a renforcé les talibans, leur donnant un vrai statut de résistants à l’occupation. Je suis content que les forces étrangères partent.» Néanmoins, il sait que le départ des Occidentaux laissera le pays avec un gouvernement faible, corrompu, sujet de défiance pour la population. C’est d’autant plus vrai depuis l’élection de septembre 2019 et les querelles qui ont suivi la proclamation des résultats définitifs la semaine dernière.

Ce gouvernement devra discuter avec un groupe organisé et déterminé à remettre de l’ordre dans le pays. «Le gouvernement semble vouloir bloquer le processus de paix au lieu de le soutenir. Dans dix jours commenceront les négociations avec les talibans. L’exécutif doit choisir une délégation. S’il n’y parvient pas, nous repartirons de zéro. C’est maintenant ou jamais. Avec l’arrivée du printemps, les combats seraient plus âpres.» L’ancien ministre, adulé et embrassé par la foule, est convaincu que le plus grand problème sera de «reconstruire la confiance en se montrant respectueux». Il ajoute: «Je suis convaincu que les talibans ont changé.»

Libres de rêver

Le professeur Ismail Yun, invité aux négociations au Qatar comme représentant de la société civile, a fait le déplacement à Deh Amanullah Khan. «L’appui des Etats-Unis pour contraindre le gouvernement et les talibans à parvenir à un accord est nécessaire. Le gouvernement est trop divisé et, avec le départ des Américains, les talibans conquerraient au moins quatre provinces en une journée. Aujourd’hui, 70% des forces combattantes sont américaines», observe-t-il.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas un accord de paix entre Afghans qui est signé à Doha, mais bien entre Américains et talibans. Le scénario d’un conflit sans Etat étranger impliqué reste possible. C’est d’ailleurs ce qui pourrait se passer si Ashraf Ghani, le président sortant vainqueur de l’élection, refusait de négocier. «J’ai rencontré Ghani il y a deux jours», raconte Khan Wardak, un parlementaire. «La proclamation des résultats en sa faveur l’a complètement changé. Avant, il disait vouloir la paix. Aujourd’hui, il dit vouloir exercer son mandat de cinq ans avant de penser à la paix.» Libres de rêver, les Afghans peuvent, aujourd’hui au moins, croire en un avenir meilleur.