Les images d’Ashli Babbitt, couchée sur le dos dans l’enceinte du Congrès, son sang se mélangeant aux couleurs du drapeau de campagne pro-Trump qu’elle avait noué comme une cape, ont fait le tour du monde. La minute précédente, elle était devant une porte aux vitres brisées. De l’autre côté, se tient au moins un agent de police du Capitole. Il dégaine son arme et tient en joue le groupe de partisans de Trump, dont elle fait partie. Entre eux, un amas de tables et de chaises bloque le passage. Les trumpistes chahutent mollement les portes qui les séparent du policier, sans grande conviction. Mais soudain, Ashli Babbitt entreprend de les escalader franchement. Le policier s’avance, tire et la femme tombe à la renverse. Selon plusieurs vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux, elle a été touchée à l’épaule gauche. Elle est morte quelques heures plus tard, dans la soirée de mercredi.

Ashli Babbitt avait 35 ans. C’était une vétérane de l’armée de l’air américaine, dans laquelle elle a servi pendant quatorze ans. Elle a été déployée en Irak et en Afghanistan puis au Koweït et au Qatar au sein de la Garde nationale, selon le Washington Post qui cite son ex-mari. Elle résidait à San Diego, dans le sud de la Californie avec son nouveau compagnon. Ensemble, ils tenaient une entreprise de fournitures pour piscines. Dans une vidéo qu’elle a publiée sur Twitter en 2018, on apprend qu’elle a grandi à Lakeside, dans la périphérie de San Diego.

Californienne et fervente trumpiste

Plus de 4000 kilomètres séparent cette ville de la côte Pacifique et de Washington DC. En dépit des six heures d’avion, Ashli Babbitt tenait à être présente au rassemblement de mercredi, convoqué par Donald Trump à l’occasion de la certification des résultats de l’élection présidentielle par le Congrès. Elle avait même hâte d’y être, si on en croit son compte Twitter. Car la vétérane est persuadée que Donald Trump a gagné l’élection présidentielle et qu’on lui a volé des voix.

Une plongée dans ses 8700 tweets nous montre une femme très engagée politiquement et ardente défenseuse du président américain. Ashli Babbitt se présente comme une libertarienne, attachée au Deuxième amendement qui garantit le droit au port d’arme. En septembre, elle s’affichait à un défilé nautique organisé en soutien du président, portant fièrement un t-shirt «We are Q», en référence à la mouvance complotiste d’extrême droite QAnon. Elle y avait attaché un pin’s indiquant «Enfin quelqu’un qui a des couilles! – Donald Trump 2020». Comme si cela ne suffisait pas, elle a légendé la photo par l’acronyme WWG1WGA pour «Where We Go One We Go All» (en français «où que nous allions, nous y allons ensemble»), un slogan régulièrement repris par les adeptes de QAnon.

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Elle semble également sensible à une certaine mythification de la grandeur historique des Etats-Unis et de sa Constitution. Ainsi, Babbitt tweete régulièrement en utilisant le hashtag #WeThePeople, les trois premiers mots du préambule du texte constitutionnel américain. Son pseudonyme, CommonAshSense, n’est pas sans rappeler le titre du pamphlet de Thomas Paine, Common Sense (le Sens commun). La popularité du texte, publié en 1776, a contribué au lancement de la révolution d’indépendance américaine. L’ancienne militaire a également retweeté récemment des images des Pères fondateurs.

«Rien ne va nous arrêter»

Dans trois vidéos publiées en 2018, Ashli Babbitt prend la parole pour interpeller les dirigeants californiens. La vétérane, visiblement ulcérée, y dénonce pêle-mêle le problème de l’immigration, du manque de sécurité, la nécessité de construire un mur à la frontière avec le Mexique ou la question de la drogue. Très remontée contre les hommes et femmes politiques, elle leur reproche de ne pas faire leur travail, de ne pas se préoccuper des vrais problèmes des Américains et de gaspiller leur temps à taper sur Trump. Elle intime aux élus démocrates de «choisir les Etats-Unis plutôt que leur parti».

Ce qui l’énerve, ce sont aussi les restrictions liées à l’épidémie de Covid-19. Ashli Babbitt partage des tweets célébrant ceux qui ont refusé de porter un masque. Elle a, par exemple, partagé un message applaudissant Marjorie Greene, nouvellement élue au Congrès, qui n’a pas voulu se masquer lors de son investiture. Cette politicienne avait déjà fait parler d’elle pour avoir affiché son soutien pour la mouvance QAnon, en plus de déclarations racistes, islamophobes et antisémites proférées durant sa campagne. L’ancienne militaire semblait adhérer à plusieurs théories du complot autour de la pandémie.

Fidèle à Donald Trump jusqu’au bout, elle a partagé récemment des appels à la démission du vice-président, Mike Pence, qui n’a pas suivi les demandes de son chef de ne pas certifier les résultats de l’élection. Son dernier message sur Twitter répond à celui d’une autre militante qui annonce que de nombreux vols vers la capitale fédérale ont été supprimés. Ashli Babbitt écrit: «Rien ne va nous arrêter. Ils peuvent essayer, mais la tempête est là et va déferler sur Washington DC dans moins de vingt-quatre heures… de l’ombre à la lumière!» Un jour plus tard, elle mourait dans la capitale américaine.