Aux Etats-Unis, le Covid-19 a fait plus d'un million de morts
Pandémie
Depuis un mois, les cas de covid continuent à monter dans le pays, officiellement le plus endeuillé au monde. Mais le pays pense pouvoir tourner la page, après des mois traumatisant, notamment pour les professionnels de la santé

Les Etats-Unis ont franchi jeudi le seuil du million de morts du Covid-19, a annoncé la Maison Blanche, mais, à l’image de New York mise à genoux en 2020, le pays veut tourner la page de la pandémie. «Nous devons rester vigilants face à cette pandémie et faire tout ce que nous pouvons afin de sauver le plus de vies possible, comme nous l’avons fait avec plus de tests, de vaccins et de traitements que jamais», a dit le président américain Joe Biden dans un communiqué.
Après plusieurs mois de recul de la pandémie de coronavirus dans le pays officiellement le plus endeuillé du monde (devant le Brésil, l’Inde et la Russie), les Etats-Unis enregistrent depuis un mois une hausse quotidienne du nombre de cas. Le pays qui a levé l’obligation de port du masque, désormais simplement conseillé en intérieur, connaît un rebond du nombre de cas dû à des sous-variants d’Omicron. Ses effets semblent toutefois moins graves sur une population complètement vaccinée à 66%, et à plus de 90% pour les plus de 65 ans, alors qu’une quatrième dose de vaccin n’est ouverte pour l’instant qu’aux plus de 50 ans.¨
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Un «long cauchemar» pour les médecins
Epuisement, peur persistante de la foule… Les professionnels de santé américains continuent aujourd’hui à payer le prix d’une épidémie ayant accaparé toutes leurs forces, tant physiques que psychiques. A la tête du service de soins intensifs dans un petit hôpital d’un quartier défavorisé de Houston, au Texas, Joseph Varon, 59 ans se souvient du premier décès: un employé d’hôtel, mort en à peine une semaine. «C’est mon métier, mais j’ai été choqué qu’un homme de 34 ans, par ailleurs en bonne santé, meurt ainsi sous nos yeux. »
Aucun hôpital aux Etats-Unis n’était équipé pour faire face à la crise
«J’ai signé davantage de certificats de décès ces deux dernières années que durant toute ma carrière de médecin. Il faut être fou pour être docteur en pleine pandémie». Pour le médecin, la pandémie a été «un long cauchemar ininterrompu, avec des phases au milieu qui étaient encore pires. »
Il se rappelle des infirmières en pleurs face au flux continu de patients, des lits dans les couloirs, des intubations à la chaîne… «Aucun hôpital aux Etats-Unis n’était équipé pour faire face à la crise», juge le médecin, arrivé du Mexique il y a 35 ans, attiré par un système de santé plus performant. «Un million de morts, comment c’est possible? On est aux Etats-Unis, pas dans un pays du tiers-monde où il n’y n’a rien! Mais c’est arrivé», se désole-t-il, blâmant la politisation du débat, par exemple autour des masques.
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Symptomes post-traumatiques
Au tout début, la maladie restait mystérieuse et menaçante, et la crainte d’infecter sa famille ou de tomber soi-même gravement malade était grande. Il se souvient que sa femme lui faisait enlever ses vêtements dans le garage en rentrant chez lui, avant une douche obligatoire.
«L’idée de mourir à cause de ce que vous faites, de laisser derrière vous vos enfants orphelins, est terrifiante», a confié à l’AFP Daniel Brenner, médecin urgentiste tout comme sa femme. Au début de la pandémie, il était en poste dans un grand hôpital de Baltimore, sur la côte est américaine. Il estime présenter aujourd’hui certains symptômes post-traumatiques. «Je deviens très anxieux quand je suis dans des foules où les gens ne portent pas de masque», explique le trentenaire. Des sanglots dans la voix, il assure faire de son mieux pour ne pas «infliger ses traumatismes» à ses trois jeunes enfants. «Mais c’est très dur. »
En décembre 2020 une photo de Joseph Varon avait fait la une des journaux: on le voyait enlacer, le jour de Thanksgiving, un patient âgé ayant contracté le coronavirus. L’homme voulait désespérément être avec sa femme, mais les visites étaient interdites. «Je me suis senti si triste», explique le médecin. A l’époque, «les gens mourraient seuls en soins intensifs, sans aucune famille autour d’eux. » Selon lui, cette image ayant fait le tour du monde est «devenue un symbole, montrant que les médecins aussi ont des sentiments». Il dit se rappeler de chacun de ses patients décédés.
Encore 330 morts quotidiens aux Etats-Unis
Outre ces souvenirs, le rythme de travail effréné l’a profondément atteint. «J’ai vieilli très vite. Je me sens épuisé», dit-il, tout en martelant qu’il ne prendra pas de vraies vacances avant «que la pandémie soit complètement terminée». Il ne compte plus le nombre de jours de travail d’affilée. Au mariage de sa fille, il a continué à faire des ordonnances par téléphone. «Ce sont des choses dont je me rappellerai toute ma vie. J’espère que ce ne sera pas le cas de ma famille. Mais même si j’étais là physiquement, je n’étais pas là».
Aujourd’hui, la situation s’est améliorée. Bien que les Etats-Unis enregistrent de nouveau une hausse des cas de Covid-19, les personnels de santé ont appris à mieux soigner cette maladie, et des traitements sont disponibles. Surtout, les vaccins ont marqué un tournant.
«C’était incroyable, parce que vous ne réalisez pas la pression exercée sur vous jusqu’à ce qu’une partie soit levée», se souvient Daniel Brenner. Il demande désormais à tous ses patients s’ils sont vaccinés ou non, et si ce n’est pas le cas, tente de les convaincre. Car malgré les progrès faits, environ 330 personnes meurent encore chaque jour du Covid-19 aux Etats-Unis. Pour lui, ces décès provoquent «un mélange de tristesse et de frustration, car ils sont évitables. »
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Effervescence new-yorkaise
Après plus de deux ans de pandémie et plusieurs vagues de variants, les Etats-Unis entendent cependant bien tourner la page du Covid-19. Ainsi New York, aimant économique et culturel, paraît avoir retrouvé son effervescence légendaire. New-Yorkais, touristes américains et étrangers reviennent dans les théâtres de Broadway, se photographient sous les enseignes publicitaires numériques géantes de Times Square, grimpent la statue de la Liberté, se baladent en carriole à Central Park, à pied et à vélo sur le pont de Brooklyn, se précipitent dans les plus beaux musées du nord de Manhattan…
Autant d’attractions qui rouvrent progressivement depuis 2021 et font la réputation mondiale de la mégapole de 8,4 millions d’âmes. Midi et soir, la circulation est de nouveau infernale au centre de Manhattan, son poumon financier et commerçant. Les files d’attente s’allongent devant les dizaines de milliers de restaurants, échoppes, camions de ventes à emporter pour cols blancs et cols-bleus. Les terrasses les plus branchées de Manhattan et de Brooklyn sont de nouveau bondées. «Cela faisait longtemps qu’on attendait» ce retour de New York, souffle Alfred Cerullo, qui dirige Grand Central Partnership, un lobby pro-business de Manhattan. «Sans aucun doute, dit-il à l’AFP, on ressent l’énergie des gens dans la rue».
Le contraste est saisissant avec le cauchemardesque printemps 2020. Epicentre de la pandémie, la «ville qui ne dort jamais» s’était vidée pendant des semaines, désertée comme dans un film de science-fiction. Les immenses artères de Manhattan et de Brooklyn n’étaient animées que par les sirènes anxiogènes des services de secours, avec des hôpitaux débordés et des morgues contraintes d’entreposer les corps de victimes du covid dans des camions frigorifiques.
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40 000 morts à New York
Janice Maloof-Tomaso, une infirmière qui travaillait à l’époque près de Boston, se rappelle que beaucoup de soignants n’ont pas supporté de «voir la mort». «Certains ont été traumatisés, et beaucoup sont partis». Environ 40 000 New-Yorkais ont perdu la vie en raison du covid depuis le printemps 2020 et tant l’île de Manhattan que les gigantesques quartiers de Brooklyn et du Queens gardent des stigmates de la pandémie. Faute de clients pendant des mois, des milliers de petits commerces ont mis la clé sous la porte, leurs vitrines étant toujours couvertes de planches de bois ou d’affiches d’agents immobiliers.
Parmi ces petits patrons de magasins, Frank Tedesco tient une bijouterie dans le très huppé comté de Westchester, au nord du Bronx. Il confie à l’AFP avoir sauvé sa boutique en 2020 grâce à des aides publiques et son propre patrimoine, mais il se sent «évidemment inquiet» car il ne «(sait) pas ce qu’il va se passer» et comment il pourrait supporter un autre «choc» économique provoqué par un retour de l’épidémie.
Les New-Yorkais restent sur leurs gardes. Le masque est encore très courant dans la rue et en intérieur – et obligatoire dans les transports. Et le télétravail est rentré dans les moeurs: d’après le baromètre hebdomadaire de l’entreprise de sécurité Kastle, le taux d’occupation des bureaux à New York plafonne toujours à 38%. Le patron de la banque d’affaires Goldman Sachs, David Solomon, a reconnu le 2 mai que le taux de salariés de retour au bureau atteignait tout juste 50 à 60% des effectifs, contre 80% présents avant le covid.