Un Noir dans la tranche d’âge 15-34 ans a vingt fois plus de risques de se faire tuer par une arme à feu qu’un Blanc du même âge. C’est l’un des constats du tout nouveau rapport d’Amnesty International sur la violence par les armes aux Etats-Unis. Intitulé In the Line of Fire: Human Rights and the US Gun Violence Crisis, il est publié alors que les fusillades de masse et les règlements de comptes entre gangs continuent d’endeuiller régulièrement le pays.

Communauté noire très touchée

En 2016, 38 658 personnes sont mortes par balles – 22 938 suicides et 14 415 homicides – et 116 000 ont été blessées, selon les chiffres d’Amnesty. La communauté noire est tout particulièrement touchée. Alors que les Noirs composent 13% de la population américaine, ils représentent 58,5% des victimes d’homicides, et la violence armée est la première cause de mortalité chez les 15-34 ans. Tout récemment, un terrible drame a provoqué de vives émotions et tensions: à Dallas, une policière blanche a tiré sur un Noir de 26 ans dans ce qu’elle pensait être son appartement. Elle s’était en fait trompée: elle était entrée par erreur chez son voisin, qu’elle avait pris pour un voleur. Il est mort.

Pour Margaret Huang, la directrice d’Amnesty International Etats-Unis, «le gouvernement des Etats-Unis a laissé la violence armée dégénérer en crise des droits humains». Il «privilégie la détention d’armes à feu au détriment des droits fondamentaux». «De nombreuses solutions sont proposées, mais elles se heurtent à l’absence criante de volonté politique de sauver des vies», dénonce-t-elle. Elle ajoute: «La possibilité de vaquer à vos occupations quotidiennes en sécurité et dans la dignité, sans avoir peur, est l’un des piliers majeurs des droits humains. Les droits des citoyens ne peuvent être garantis tant que nos dirigeants ne font rien au sujet de la violence armée.»

Pas de registre national

L’organisation pointe du doigt le fait que les Etats-Unis ne disposent pas d’un registre national et que 30 Etats autorisent la détention d’armes de poing sans licence ni permis. Elle recommande notamment l’adoption de réglementations nationales pour l’octroi des permis et l’enregistrement des armes à feu, des cours pour ceux qui en acquièrent et l’interdiction des fusils d’assaut semi-automatiques et autres armes de guerre. Lors de la fusillade de Parkland qui a déclenché une mobilisation sans précédent de jeunes «survivants», le tueur Nikolas Cruz avait utilisé un semi-automatique AR-15 acquis légalement.

Le rapport rappelle que les fusillades de masse, très médiatisées, ne représentent qu’environ 1% des cas de morts par balles. Amnesty a notamment choisi de mettre en exergue des histoires personnelles de familles endeuillées, de gens qui vivent dans la crainte de voir un des leurs tués par une arme, ou qui relatent la difficile reconstruction de rescapés. Ces voix dénoncent des formes de discrimination, l’effet pervers de la banalisation, et réclament des soutiens.

«Atteint de plusieurs balles»

«J’ai eu un patient atteint de plusieurs balles. Je l’ai opéré entre 15 et 20 fois en dix-huit mois, ses problèmes étaient nombreux, il était vraiment mal en point. J’ai réussi à lui faire traverser ces épreuves et nous avons terminé sa colostomie; il est donc soigné et on s’accorde à dire que c’est une «belle réussite». Sauf que… il a également reçu une balle dans le bras et souffre de graves lésions nerveuses. Il gagnait sa vie en transportant du matériel et en ramassant des objets. Il vous faut deux bras pour cela, donc il est handicapé et ne peut plus travailler…», témoigne par exemple Thomas Scalea, directeur du centre de traumatologie R. Adams Cowley à Baltimore. «Et ça ne s’arrête pas là. Il n’y a pas de rééducation ni de formation. En vue d’obtenir l’allocation d’invalidité, vous devez être en mesure de négocier avec le système de santé; j’ai moi-même bien du mal à le faire, alors comment pourrait-il y parvenir?»

Amnesty International mènera des campagnes dans plusieurs Etats américains pour tenter de faire bouger les lignes de front. Une mission qui s’annonce ardue: l’attachement des Américains au deuxième amendement, qui sacralise le droit de détenir une arme, reste très marqué.

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