Aux Etats-Unis, une rentrée politique paralysée et chaotique
Shutdown
Depuis le 22 décembre, l’administration fédérale est partiellement fermée faute de compromis budgétaire. Le financement du mur entre les Etats-Unis et le Mexique est le principal point de friction

La nouvelle majorité démocrate à la Chambre des représentants a voté deux mesures de financement temporaire qui permettraient de rouvrir les administrations affectées. L'un des textes assurerait jusqu'au 30 septembre les budgets de la plupart des administrations fédérales frappées par le shutdown, tandis que l'autre ne financerait que jusqu'au 8 février le budget sensible de la Sécurité intérieure, afin de trouver d'ici là un compromis sur la frontière. Mais la Maison Blanche s'oppose pour l'instant fermement à ces mesures car elles ne contiennent pas les cinq milliards de dollars qu'elle réclame pour la construction du mur voulu par Donald Trump. Or le chef républicain du Sénat a indiqué qu'il ne programmerait de vote sur le shutdown que s'il avait le feu vert du président, qui a pouvoir de veto.
C’est en pleine cacophonie que le Congrès américain a fait sa rentrée politique jeudi. La nouvelle majorité démocrate à la Chambre des représentants rend l’idée d’une procédure de destitution contre Donald Trump plus plausible, l’affaire russe encercle toujours plus le président américain, et surtout, le shutdown continue de faire des ravages. Les tractations pour mettre fin à la fermeture partielle de l’administration américaine ne débouchent sur rien.
Voyages annulés
La cause principale du blocage, le point sur lequel Donald Trump ne veut pas céder, concerne le financement de «son» mur entre les Etats-Unis et le Mexique. Il s’agit d’une de ses principales promesses de campagne, qu’il ne parvient toujours pas à concrétiser. Donald Trump exige 5 milliards de dollars; les démocrates refusent. Pendant ce temps, dans l’attente d’un compromis, ce sont des centaines de milliers d’employés fédéraux qui, faute de budget, doivent ronger leur frein. Sans salaire, certains ont dû annuler des voyages en famille prévus pour la fin de l’année. Près de 380 000 fonctionnaires restent à la maison, en vacances forcées, tandis que 420 000, à des postes jugés plus essentiels, travaillent mais sans être payés.
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La colère gronde mais Donald Trump reste intransigeant et préfère attribuer la responsabilité de ce blocage aux démocrates. Cette situation dure depuis le 22 décembre. Mercredi, un énième compromis à propos de la loi budgétaire a été discuté à la Maison-Blanche, à la veille de la rentrée politique officielle. En vain. Inflexible, Donald Trump a assuré que le shutdown pourrait «durer encore longtemps».
Le troisième shutdown de 2018
Pour sortir de l’impasse budgétaire, Nancy Pelosi, la nouvelle présidente (speaker) de la Chambre des représentants intronisée ce jeudi, suggère d’adopter dans un premier temps six lois qui permettraient au moins d’assurer le financement de la plupart des ministères et agences jusqu’au 30 septembre prochain, en écartant le sensible Département de la sécurité intérieure (son budget provisoire ne serait garanti que jusqu’au 8 février). Une manière d’écarter le principal objet de la polémique. Mais la proposition présentée au Congrès est déjà mort-née: la Maison-Blanche a clairement fait savoir qu’elle n’entrait pas en matière. Une nouvelle rencontre entre le président américain et les démocrates est agendée pour ce vendredi.
Il s’agit déjà du troisième shutdown qui a pris racine en 2018, mais clairement le plus long. Pour le président américain, parvenir à obtenir le financement pour compléter le mur dont des portions ont déjà été érigées par ses prédécesseurs est essentiel. Il électrise sa base électorale en prônant la tolérance zéro face à la migration illégale. Il a abandonné l’idée de faire payer le mur au Mexique et se bat désormais pour obtenir le plus possible du Congrès, en cherchant à ne pas perdre la face.
Une puissante symbolique
Les démocrates sont prêts à renforcer la sécurité à la frontière, mais pas à n’importe quel coût. Régulièrement accusés d’être laxistes dans ce domaine, ils essaient de faire preuve de fermeté et sont prêts à lâcher du lest – ils ont proposé une enveloppe de 1,3 milliard de dollars –, sans pour autant aller dans le sens de Donald Trump. Si le président républicain a choqué en adoptant des mesures inhumaines telles que la séparation de familles de clandestins à la frontière, avec des enfants placés parfois à des milliers de kilomètres de leurs parents déportés, le démocrate Barack Obama s’était illustré, on a tendance à l’oublier, par un nombre record d’expulsions de migrants en situation irrégulière.
La symbolique très puissante du mur braque toutefois une bonne partie des démocrates. Les républicains disposent désormais de 53 sièges sur 100 au Sénat, mais la loi budgétaire doit être approuvée par 60 voix. Ils ont donc besoin de voix démocrates pour faire passer le projet de Donald Trump.
Actuellement, des sortes de barrières ou de pans de murs existent déjà sur près d’un tiers des 3200 kilomètres de frontière entre les deux pays, poussant les clandestins à les contourner et à tenter d’entrer aux Etats-Unis via des régions hostiles et dangereuses comme le désert de Sonora. Si les démocrates sont prêts à céder un peu, ils espèrent obtenir des contreparties, notamment à propos des enfants de clandestins nés sur sol américain. Le bras de fer pourrait encore durer. Mais les démocrates ont une arme dont ils peuvent se servir: la menace, avec leur nouvelle majorité à la Chambre des représentants, de lancer de nombreuses enquêtes parlementaires contre Donald Trump et son entourage à propos de l’ingérence russe dans la présidentielle de 2016.
Des employés au chômage technique
800 000 fonctionnaires sont concernés par la fermeture partielle de l’administration américaine, dont 41 000 représentants des forces de l’ordre
«Et vous allez nous dire ce qui se passe avec le shutdown?» D’habitude, les agents de l’immigration sont peu bavards à l’aéroport JFK, à New York. Mais cette fois, c’est différent. Contrôler le passeport d’une journaliste en pleine période de paralysie partielle de l’administration américaine délie les langues. Près de 800 000 employés fédéraux sont concernés, certains peinant à payer leur loyer de décembre et de janvier. 420 000 fonctionnaires considérés comme «essentiels» travaillent sans être payés – c’était le cas de notre agent de l’immigration –, tandis que les autres sont priés de rester à la maison, au chômage technique.
Selon les estimations d’un comité du Sénat, 41 000 représentants des forces de l’ordre (dont 13 709 agents du FBI), 54 000 gardes-frontières, 16 000 agents des parcs nationaux, 16 700 employés de la NASA ou encore 52 000 fonctionnaires de l’administration fiscale de l’IRS attendent patiemment que le Congrès adopte un budget. Ils seront en principe payés rétroactivement, mais ce ne sera pas forcément le cas des sous-traitants. Ceux chargés de la sécurité des bâtiments fédéraux ou encore les agents de nettoyage, victimes collatérales du shutdown parmi d’autres, pourraient bien ne jamais être compensés financièrement et accuser des pertes. Le tourisme est aussi sévèrement touché. De nombreux musées, sites historiques, parcs nationaux ou zoos restent fermés. Mais pas la statue de la Liberté.