Bill Barr, un ministre entre Machiavel et Raspoutine
L’équilibre des pouvoirs (4/5)
Nommé en 2019 par Donald Trump à la tête du Département de la justice, cet homme très catholique représente un soutien crucial du président. Le New-Yorkais de 70 ans, qui a déjà officié comme ministre de la Justice sous Bush père, est toutefois accusé d’agir comme l’avocat personnel de Trump et de défendre une vision autoritaire du pouvoir exécutif

Tout au long de cette semaine, «Le Temps» présente les femmes et les hommes qui joueront un rôle crucial au cœur des institutions américaines après l’élection présidentielle du 3 novembre.
Portraits précédents:
Quand il raconte sa propre histoire, William Pelham Barr aime parler des événements qui ont forgé sa vision du monde. En 1968, dans un climat social survolté, des étudiants de l’Université Columbia bloquent l’accès à la bibliothèque dans le cadre de manifestations contre la guerre du Vietnam. Le jeune étudiant enrage de voir ses droits entravés par des gauchistes pacifistes et s’engage dans la «Majority Coalition» de l’académie pour les contrer.
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Un demi-siècle plus tard, c’est en qualité de ministre de la Justice que ce New-Yorkais de 70 ans, chevelure poivre et sel, ordonne l’évacuation brutale de manifestants pacifiques rassemblés à Lafayette Square, devant la Maison-Blanche pour dénoncer les violences policières après la mort de George Floyd, l’Afro-Américain de 46 ans tué par un agent des forces de l’ordre à Minneapolis. L’évacuation demandée par Bill Barr a deux objectifs: montrer que l’administration Trump est pour «la loi et l’ordre» et permettre au président américain de se faire prendre en photo, bible en main, devant l’église épiscopale St. John.
Enfant «bully»
Ministre de la Justice de Trump depuis février 2019, il n’en est pas à son premier fait d’armes. En 1992, alors qu’il occupait le même poste, mais au sein de l’administration de George Bush père, c’est lui qui envoie des troupes fédérales pour réprimer les émeutes de Los Angeles après l’acquittement de policiers ayant roué de coups un Noir, Rodney King. Pour lui, on ne conteste pas l’autorité de la police. Face au mouvement Black Lives Matter, il réfute l’accusation de racisme systémique dans les polices, relevant à tort que celles-ci tuent davantage de Blancs que de Noirs.
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Bill Barr a grandi dans l’Upper West Side de Manhattan, dans une famille catholique: une mère d’origine irlandaise et un père juif converti au catholicisme. Dans le hall d’entrée de l’appartement familial le long du Riverside Drive trônait un immense poster du très conservateur Barry Goldwater en campagne présidentielle en 1964. Enfant, celui qu’on nommait Billy avait la réputation d’être, avec ses trois autres frères, une «petite brute». Le New-Yorkais, adepte de la cornemuse, diplômé en science politique, études de chinois et de droit, pourrait jouer un rôle important en cas de batailles juridiques sans fin pour déterminer le vainqueur de l’élection présidentielle. Aujourd’hui pourtant, il est fortement décrié, accusé de s’être transformé en avocat personnel de Trump.
Sa lecture, l’an dernier, d’un résumé de quatre pages de l’enquête du procureur spécial Robert Mueller sur l’interférence russe dans la présidentielle de 2016 reste un moment fort de son mandat. Le résumé fut un sabordage du puissant travail d’enquête mené par l’ex-patron du FBI. Pour Barr, l’enquête russe «est une des plus grandes parodies dans l’histoire américaine». Mais son intervention, trois semaines avant la publication du rapport Mueller, aura un impact considérable. Elle imposera le narratif selon lequel Trump n’était coupable ni de collusion ni d’entrave à la justice. Or le rapport de 448 pages contenait des passages très critiques pour le président.
La décision du ministre d’abandonner toute charge contre Michael Flynn, bref conseiller à la sécurité nationale de Trump, a choqué les tenants de l’Etat de droit. L’ex-général avait plaidé coupable d’avoir menti sur ses contacts avec l’ambassadeur de Russie à Washington. Peu après cet acte politique, plus de 2000 ex-collaborateurs du DoJ exigent, dans une lettre ouverte, la démission immédiate de Barr. Dans un éditorial, le New York Times le souligne: «C’est l’abandon le plus odieux du rôle d’avocat public» que Barr est censé jouer.
Plus récemment, Bill Barr a autorisé le DoJ à défendre Trump dans le cadre d’une plainte de viol déposée en 2019 par Elizabeth Jean Carroll. Sa décision a suscité un énorme tollé, le ministre se présentant soudain comme l’avocat personnel du président dans une affaire privée qui n’a rien à voir avec le Bureau ovale.
«Blanchisseur moral»
Décrit comme le «blanchisseur moral» des errements de Trump, Bill Barr, qui aime partager un verre de whisky single malt dans son bureau de Washington, est une personnalité qui ne manque pas de surprendre. Quand il fut nommé pour remplacer Jeff Sessions, un homme lige de Trump à la tête de la Justice, nombre d’observateurs, notamment des démocrates, étaient persuadés qu’il allait recadrer le DoJ afin qu’il soit plus en phase avec la défense de la Constitution.
Il n’avait rien à prouver, ayant déjà montré son expertise du droit dans les administrations Reagan et Bush. Il avait aussi accumulé des millions comme expert juridique à GTE puis Verizon. Ces espoirs vont être rapidement douchés. Sous ses airs d’apparente désinvolture mâtinée d’arrogance et d’un aplomb désarmant, Bill Barr s’applique à faire de la présidence une forteresse inexpugnable. Quoi qu’il en coûte pour le pays et les institutions.
Ses détracteurs voient désormais le chef du DoJ comme le mélange d’un intrigant Raspoutine et d’un Machiavel qui a trouvé en Donald Trump le parfait vecteur de sa vision des Etats-Unis. Pour ce fervent catholique, qui siège au Conseil de fondation du Catholic Information Center proche de l’Opus Dei, l’Amérique subit un grave déclin moral depuis les années 1960.
L’Amérique «trahie»
Il s’insurge contre le droit à l’avortement, les droits des LGBT, la «licence sexuelle». Pour lui, l’Amérique de ces cinquante dernières années trahit la vision des pères fondateurs, celle d’une nation profondément chrétienne et pieuse. Bill Barr sert pourtant le président le plus aux antipodes des stricts préceptes de la moralité chrétienne. Trump se vante de saisir les femmes «par la chatte».
Pour Barr, qui pense qu’une élection de Joe Biden à la Maison-Blanche serait synonyme d’implantation irrévocable du socialisme aux Etats-Unis, les pères fondateurs défendent un pouvoir exécutif tout-puissant. Quand le Congrès cherche à questionner la Maison-Blanche, il y voit une limitation inacceptable du pouvoir présidentiel. A ses yeux, le président est l’exécutif à lui seul. Une vision autocratique du pouvoir qui sape les progrès accomplis après le Watergate grâce aux réformes menées par le procureur Edward Levi pour renforcer la supervision de la présidence.
Profil
1950 Naissance à New York.
1971 Collaborateur de la CIA pendant six ans.
1992 Ministre de la Justice de George Bush père.
1994 Vice-président exécutif et avocat général de la société de télécommunications GTE.
2019 Nommé ministre de la Justice par Donald Trump.
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