Au Brésil, la droite populiste est aux portes du pouvoir
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Jair Bolsonaro, nostalgique de la dictature militaire, a manqué de peu se faire élire au premier tour dimanche face au candidat de gauche Fernando Haddad. Il surfe sur la corruption et la violence qui infestent le plus grand pays d’Amérique latine

Il dresse le pouce et l’index, comme pour tirer, et son public exulte. C’est le geste fétiche de Jair Messias Bolsonaro, 63 ans, ce populiste d’extrême droite désormais aux portes du pouvoir au Brésil. Le candidat du Parti social libéral, un nostalgique de la dictature militaire (1964-1985) a frôlé une victoire dès le premier tour, dimanche 7 octobre, décrochant 46,1% des suffrages exprimés, contre 29,3% pour Fernando Haddad (Parti des travailleurs, PT). Il est le grand favori du second tour du 28 octobre, constate Michael Raid, éditorialiste de l’hebdomadaire britannique The Economist, qui parle d’«une nuit très sombre pour la démocratie brésilienne et latino-américaine».
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Il n’y a pas si longtemps, la simple candidature de ce capitaine de réserve de l’armée aurait été impensable. Or, c’est à lui que profite le discrédit de la classe politique, éclaboussée par les incessantes révélations de corruption. Et cela, même si son dernier parti, quitté en janvier, est l’un des plus impliqués dans le scandale dit Lava Jato, un tentaculaire système de caisses noires ponctionné sur les marchés publics, dans le cadre duquel l’ancien président Lula et leader du PT s’est retrouvé en prison. Député de Rio depuis 1991, il se pose en figure «antisystème», quand bien même le clan Bolsonaro - deux de ses fils sont également parlementaires -, est «une véritable PME politique familiale, qui n’a rien à envier à la famille Le Pen», selon Gaspar Estrada, spécialiste de l’Amérique latine à Sciences Po, dans une tribune au Monde.
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Plutôt un Duterte qu'un Trump
Surnommé le «mythe» par ses partisans et l’«innommable» par ses détracteurs, cet obscur parlementaire est plus connu pour ses sorties coutumières contre les Noirs, les homosexuels, les femmes et les pauvres que pour sa piètre activité législative - seulement deux propositions de loi approuvées en vingt-sept ans. «Je ne te viole pas parce que tu ne le mérites pas», a-t-il lâché, par deux fois, en 2003 et en 2014, à une députée de gauche. «Je préfère voir mon fils mort plutôt qu’avec un moustachu» (en 2011, à la revue Playboy). Les exemples ne manquent pas. En pleine campagne, il s’est adonné à un exercice de révisionnisme sur l’esclavage. «Les Portugais n’ont jamais mis les pieds en Afrique, c’est les Noirs eux-mêmes qui livraient les esclaves», a-t-il osé dire sur un plateau télévisé, fin juillet. Ses saillies n’émeuvent pas ses électeurs qui ne le prennent pas au sérieux. A moins qu’ils ne pensent comme lui …
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Jair Bolsonaro n’est pas le candidat de l’armée, qui voit en lui un «aventurier». Dans les années 80, il avait passé deux semaines en cellule disciplinaire, pour avoir dénoncé les traitements modiques des recrues dans une tribune de presse. Longtemps, son assise populaire s’est limitée aux militaires et aux forces de l’ordre, dont il endosse les méthodes héritées de la dictature. Plutôt qu’un Trump brésilien - son ambition suprême -, il passe donc pour un Duterte, le président philippin qui lutte contre la délinquance en violant les droits de l’homme. Face à l’insécurité (63 880 homicides en 2017, un record), Bolsonaro fait recette en défendant la libéralisation du port d’arme, la baisse de la majorité pénale à 16 ans ainsi qu’un paravent juridique pour les menées policières : «Un policier qui ne tue pas n’est pas un policier.»
Il accède à la notoriété nationale le 17 avril 2015, lors du vote de l’ouverture de la procédure de destitution de Dilma Rousseff, la successeure de Lula, écartée l’année suivante.
Jair Bolsonaro dédie alors son «oui» au tortionnaire qui dirigea un des appareils de répression sous la dictature. Sachant que l’ex-présidente avait été arrêtée et torturée par le régime … Il est devenu le champion de la droite radicale et réactionnaire qui émergea des immenses manifestations favorables à l’impeachment.
Haine viscérale de la gauche
C’est lui qui incarne désormais l’antipetismo, soit la haine viscérale de la gauche, et en particulier du PT, qui habite les couches moyennes et aisées, plus sensibles, certes, à la corruption mais surtout, soucieuses de préserver leurs privilèges. La droite modérée du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) ne parvient plus à fédérer cet électorat qui l’accuse d’être «trop molle» face au PT. Bolsonaro, lui, appelle à «fusiller» les «PTistes», mais c’est pour rire, voyons … Resté catholique sur le papier, il a par ailleurs été à l’assaut de l’électorat évangélique (30% des Brésiliens), en se faisant baptiser dans les eaux du Jourdain. L’agression au couteau dont il a été victime le 6 septembre, en plein meeting, l'a dispensé de prendre part aux débats.
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Jusqu’alors, ses performances publiques avaient été désastreuses, mettant à nu sa totale impréparation. Cela n’a pas empêché les élites de l’adouber, voulant croire que le Congrès saura freiner ses penchants autoritaires. On se demande comment, alors que les principaux lobbys parlementaires lui ont déjà apporté leur soutien … Les milieux d’affaires, quant à eux, sont grisés par le discours ultralibéral de son conseiller économique Paulo Guedes, qui entend privatiser à tour de bras.
Jair Bolsonaro peut-il perdre ? Ce n’est pas impossible. Selon un sondage publié à la veille du scrutin, il n’a que deux points d’avance sur son adversaire en ballotage. Fernando Haddad, un des cadres les plus modérés du PT, doit désormais fédérer le centre, et notamment les 12,5% de votants qui ont préféré Ciro Gomes, le candidat du Parti démocratique travailliste, arrivé troisième, ainsi que les électeurs du candidat du PSDB Geraldo Alckmin (4,76%).
«Le PT a obtenu une seconde chance, écrit dans la Folha de São Paulo le sociologue Celso Rocha de Barros, qui appelle à la formation d’un front démocratique. Il doit mettre fin à la crise économique qu’il a contribué à provoquer en adoptant un discours responsable. Abandonner aussi tout ressentiment, tout désir de venger l’impeachment de Dilma Rousseff», une manœuvre de la droite. «Si le PT perd face à Bolsonaro, le risque existe que les Brésiliens démunis ne parviennent plus à se faire entendre pour une génération entière, conclut Barros. Le parti n’a pas le droit de leur imposer une telle tragédie».