Joe Biden était guetté par deux tentations, à l’heure de réunir autour de lui l’équipe qui doit se charger de réconcilier et de remettre sur les rails les Etats-Unis. La pure reproduction de l’époque de Barack Obama, pendant laquelle il était le vice-président? Le contre-pied parfait de l’administration sortante de Donald Trump, qui aura fracturé l’Amérique jusqu’au dernier jour? Joe Biden donne l’impression d’avoir un peu allié les deux. Une chose est sûre: à travers les personnes choisies, ses priorités sont clairement affichées d’entrée de jeu.

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Antony Blinken, sur tous les fronts

Il est prêt, dit-il. Prêt à réévaluer les relations entre les Etats-Unis et la Chine, à reprendre langue avec l’Iran, à revoir la position américaine à l’égard de la Corée du Nord et de la Russie… Mais à ces nombreux défis, le nouveau chef désigné de la diplomatie, Antony Blinken, en ajoute d’autres, encore plus fondamentaux. C’est le Département d’Etat dans son ensemble qui doit être «reconstruit», plaide ce partisan du multilatéralisme, afin de permettre à son pays de reprendre le «leadership» global. Faute de quoi, dit-il, la place sera prise par d’autres ou alors adviendra le chaos.

Antony Blinken a derrière lui des décennies de présence au sein de l’appareil d’Etat américain. Perçu comme un «modéré», proche depuis longtemps de Joe Biden, il a néanmoins affiché sous la précédente administration démocrate des positions un peu plus interventionnistes que ses chefs de l’époque, notamment en Libye ou en Syrie.

Lloyd Austin, un militaire à la Défense

La polémique est servie. Elle est d’autant plus piquante que les militaires quadrillent Washington et sont déployés ces jours au sein même du Capitole. Choisi pour devenir le prochain secrétaire à la Défense, Lloyd Austin sera certes, s’il est confirmé, le premier Afro-Américain à exercer cette fonction. Mais surtout, ce militaire de carrière, par ailleurs fervent catholique, a pris sa retraite de général quatre étoiles il y a à peine cinq ans. Or la loi américaine, qui cherche précisément à éviter ce cas de figure, réclame au minimum sept ans d’intervalle entre le monde militaire et la politique.

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A l’heure de justifier son choix, Joe Biden a mis en avant les «succès» de Lloyd Austin au Moyen-Orient, lors du retrait américain d’Irak, et plus fondamentalement, dans la guerre contre l’organisation de l’Etat islamique, qu’il a dirigée à la tête du Commandement central de l’armée américaine.

Merrick Garland, au service de la loi

En 2016, ce juge proche des démocrates, mais perçu comme modéré, avait vu sa nomination à la Cour suprême bloquée par les républicains. A 68 ans, Merrick Garland, actuel chef de la Cour d’appel de Washington, devrait cependant hériter d’une tâche tout aussi déterminante: redonner du lustre à une justice américaine qui a perdu une bonne partie de sa crédibilité. Son prédécesseur au poste d’Attorney General, Bill Barr, avait été surnommé «l’avocat de Trump». «Vous devez être loyal envers la loi, la Constitution, mais pas envers moi», a précisé Joe Biden en présentant Merrick Garland.

La liste est longue: lutte contre les violences policières et le racisme institutionnel; ascension des groupes d’extrême droite et suites à donner à l’invasion du Capitole le 6 janvier; mais aussi promesse du nouveau président de réduire le nombre d’Américains incarcérés au profit d’une politique davantage tournée vers la prévention.

John Kerry, le retour

C’est le retour d’une grande figure. Les Suisses, notamment, le connaissent bien, familiers de ses allées et venues incessantes à Genève en tant que secrétaire d’Etat, pour progresser sur les dossiers iranien ou syrien. Mais John Kerry, c’est aussi l’homme qui signa l’Accord de Paris sur le climat pour les Etats-Unis, en décembre 2015. Alors que l’équipe Biden dit considérer le changement climatique comme «une menace existentielle», la nomination de John Kerry en tant que représentant spécial pour le climat est d’abord un symbole fort.

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Mais ce ne sera pas suffisant. Durant la campagne, Joe Biden a présenté un plan «révolutionnaire» de 1700 milliards de dollars pour que le pays atteigne d’ici à 2050 la neutralité carbone. Selon les promesses du nouveau président, il ne devrait pas perdre une minute pour notifier officiellement à l’ONU sa volonté de faire revenir les Etats-Unis dans l’Accord de Paris.

Janet Yellen, la vétérane

Il reviendra à Janet Yellen, 74 ans, de sortir l’économie américaine de la récession. Nommée secrétaire d’Etat au Trésor, elle a dévoilé ses intentions mardi lors d’une audition de confirmation au Sénat. L’heure est venue d’agir en grand, a-t-elle plaidé. Soit de mettre en œuvre le plan de relance de 1900 milliards de dollars présenté la semaine passée par le président élu.

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Il y a urgence. La pandémie a détruit l’économie. La dette publique a grimpé à 100% du PIB, le chômage a atteint 6,7%, le nombre d’Américains dépendant d’allocations sociales a explosé et les inégalités ont continué à se creuser.

L’ex-présidente de la Réserve fédérale américaine et ancienne présidente du groupe de conseillers économiques du président Bill Clinton ne part pas seule au front. Janet Yellen pourra compter sur son successeur à la Fed, Jerome Powell, également convaincu de la nécessité de frapper vite et fort.

Gina Raimondo, dame de fer

Gina Raimondo, la future ministre du Commerce, hérite d’un dossier particulièrement chaud: la guerre commerciale qui empoisonne depuis trois ans les relations entre la Chine et les Etats-Unis. Avocate et gouverneure de Rhode Island, elle arrive à Washington avec la réputation de dame de fer dans les négociations.

Démocrates et républicains attendront d’elle le maintien d’une forte pression sur le géant asiatique. Pour une fois d’accord sur un dossier, les deux camps souhaitent que les Etats-Unis contiennent la montée en puissance de Pékin. Dans ce but, Gina Raimondo pourra s’appuyer sur Katherine Tai, fille d’émigrés de Taïwan, nommée par Joe Biden cheffe négociatrice aux accords commerciaux.

La nouvelle ministre sera également chargée des dossiers de l’imposition des géants technologiques (Facebook, Apple, Amazon, etc.), ainsi que de celui des relations entre l’administration et les entreprises.

Eric Lander, la science en poupe

Son nom est associé aux recherches sur la génétique et plus particulièrement à sa participation dans le séquençage du génome humain, le Human Genome Project. Professeur de renom au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et à Harvard, Eric Lander sera le nouveau conseiller scientifique de la Maison-Blanche. Il n’est pas seulement le premier biologiste à rejoindre ce poste, il bénéficiera aussi d’un rang ministériel, pour la première fois aux Etats-Unis. Entouré d’une solide équipe de scientifiques prestigieux, au sein du Bureau de la politique scientifique et technologique, Eric Lander doit constituer la preuve que l’administration Biden va «fonder ses décisions sur la science, les faits et la vérité».

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Comme une bonne partie de ses nouveaux collègues, Eric Lander était déjà présent au sein de l’administration de Barack Obama, même s’il n’y était pas institutionnellement associé.

William Burns, le diplomate

C’est le modèle même du serviteur de l’Etat. Diplomate au sein de l’administration américaine pendant plus de trois décennies, William Burns connaît pratiquement depuis tout ce temps-là l’ancien sénateur Joe Biden. Dans sa longue carrière, qui lui a aussi beaucoup fait fréquenter le Moyen-Orient, William Burns, 64 ans, a été notamment ambassadeur en Russie, entre 2005 et 2008. Il est aussi l’un des artisans du relatif rapprochement avec l’Iran.

William Burns avait quitté la diplomatie en 2014, avant de diriger la renommée Fondation Carnegie pour la paix internationale, un think tank de relations internationales qui s’est notamment beaucoup penché sur les relations entre Washington et Moscou. Il devrait être le premier diplomate à traverser le miroir et à diriger la CIA. Une nomination qui est présentée comme «apolitique» de la part du nouveau président.

Pete Buttigieg, la relève

L’ancien maire de South Bend, dans l’Indiana, a été l’une des révélations de la campagne aux primaires démocrates, au cours desquelles il a talonné, pour un temps, un certain Joe Biden à la course à la présidence. A 38 ans, Pete Buttigieg a été choisi par ce même Biden au poste de secrétaire aux Transports, un poste crucial puisque l’administration Trump est accusée – parmi beaucoup d’autres choses – d’avoir négligé le secteur des infrastructures, fortement défaillantes aux Etats-Unis.

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En tant que candidat démocrate, Pete Buttigieg – qui est par ailleurs le premier responsable politique à ce niveau ouvertement homosexuel – avait lui même concocté un plan très ambitieux dans le domaine, se montant à 1000 milliards de dollars. Un plan qu’il avait commencé en quelque sorte à mettre en application dans sa ville de l’Indiana, en faisant une priorité de la modernisation des infrastructures.

Cecilia Rouse, l’esprit pionnier

Cecilia Rouse présidera le Conseil des conseillers économiques (CEA) de la Maison-Blanche, un groupe dont elle a été membre au cours des années Obama. La doyenne de la Princeton School of Public and International Affairs est une économiste reconnue, notamment en matière de travail et d’égalité.

Après avoir décroché son doctorat à l’Université d’Harvard, elle a fait le va-et-vient entre l’enseignement et la recherche, d’une part, la formulation de politiques au sein d’administrations publiques, de l’autre. L’an dernier, elle s’est fait remarquer par son initiative de lettre ouverte signée par des dizaines d’économistes plaidant en faveur d’une multiplication des actions pour endiguer l’impact économique du Covid-19.

Au moment de la nommer, Joe Biden n’a pas manqué de souligner que Cecilia Rouse deviendra la première Afro-Américaine et la quatrième femme seulement à diriger ce Conseil en 74 ans d’existence.

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