La Cour suprême colombienne a ordonné, mardi, l'arrestation de l'ex-président Alvaro Uribe pour une affaire de manipulation de témoins contre un opposant de gauche. Elle a indiqué dans un communiqué que l'ex-chef de l'Etat (2002-2010) et actuel sénateur «purgera la privation de liberté à sa résidence, et de là pourra continuer à exercer sa défense avec toutes les garanties légales».

Alvaro Uribe, qui vit habituellement dans sa propriété de Rio Negro, près de Medellin, dans le nord-ouest du pays, doit maintenant attendre la date de son procès devant cette cour, seule habilitée à juger les parlementaires.

«La privation de ma liberté me cause une profonde tristesse pour mon épouse, pour ma famille et pour les Colombiens qui croient encore que j'ai fait quelque chose de bien pour la patrie», a écrit l'ancien chef de l'Etat (2002-2010) et leader de la droite dure, sur son compte Twitter.

Une décision qui ne fait pas l'unanimité

Cette décision inattendue contre le parrain politique de l'actuel président Ivan Duque, au pouvoir depuis deux ans, a été prise durant une audience tenue à huis clos et visant à définir sa situation.

Lors d'une allocution publique, Ivan Duque a pris la défense de son mentor: «Je crois et croirai toujours en l'innocence et en l'honorabilité de celui qui par son exemple a gagné une place dans l'histoire de la Colombie», a-t-il déclaré, en soulignant son «amitié avec Alvaro Uribe». Son parti mène une intense campagne médiatique pour défendre l'«honneur» de son chef.

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Mais d'autres, comme José Miguel Vivanco, directeur exécutif de la division Amériques de l'organisation Human Rights Watch (HRW), ont saluée cette décision. «Je félicite la Cour suprême d'agir de manière responsable en ordonnant l'assignation à résidence d'Uribe. La Cour démontre que tous - jusqu'aux plus puissants - sont égaux devant la loi. Il faut respecter l'indépendance judiciaire», a-t-il tweeté.

Accusé de manipulation de témoins contre un opposant

Alvaro Uribe, entendu le 9 octobre 2019 par les magistrats, fait l'objet d'une enquête pour manipulation de témoins en sa qualité de sénateur, affaire qui pourrait lui valoir jusqu'à huit ans de prison pour subornation et fraude procédurale.

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L'ex-président, qui bénéficie encore d'un certain soutien populaire pour sa politique de main de fer contre les guérillas de gauche, avait porté plainte en 2012 contre le sénateur Ivan Cepeda pour un complot présumé en s'appuyant sur de faux témoins.

Il affirme que son principal opposant politique, lui-même témoin dans l'affaire, a demandé à d'anciens paramilitaires de l'accuser d'être impliqué dans des activités criminelles de milices d'extrême droite armés contre les rebelles.

Toutefois, la Cour n'a pas engagé de poursuites contre Ivan Cepeda, mais a décidé en 2018 d'ouvrir une enquête contre Alvaro Uribe pour la même raison: manipulation de témoins contre un opposant. «Aucune personne n'est au dessus de la justice et de la loi en Colombie, toute influente et puissante qu'elle soit», s'est réjouit le sénateur de gauche mardi soir.

D'autres enquêtes à son encontre

Outre cette affaire, il est visé par d'autres enquêtes pour des crimes présumés liés au long et complexe conflit armé, qui mine la Colombie depuis près de six décennies. En juin, la Cour suprême a ainsi annoncé l'ouverture d'une enquête pour une affaire d'écoutes illégales menées par des militaires en 2019, visant quelque 130 journalistes, hommes politiques, militaires en retraite et syndicalistes.

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Cette décision vient grossir les rangs d'anciens dirigeants latino-américains populaires devant rendre des comptes à la justice, tels Lula au Brésil, Cristina Kirchner en Argentine, Rafael Correa en Equateur, Alberto Fujimori au Pérou ou Ricardo Martinelli au Panama.