Suzan Walters est professeure adjointe en santé publique globale à l’Université de New York. Elle revient sur le poids de la discrimination à l’égard des Afro-Américains et des autres minorités dans la lutte contre les opioïdes. Et esquisse des solutions.

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La toxicomanie et les overdoses ont longtemps été considérées comme un «problème de Blancs». Comment expliquez-vous que les populations noires soient aujourd’hui touchées de manière disproportionnée? Les Etats-Unis ont une longue histoire d’utilisation de la loi pour criminaliser les personnes de couleur qui consomment des drogues. Dans les années 1870, des lois anti-opium visaient les immigrants chinois. Ensuite, des lois, comme le Harrison Act de 1914, ont été adoptées pour réglementer les stupéfiants, alors que de nombreux médicaments en vente libre contenaient de la morphine et de la cocaïne. Plus tard, nous avons assisté à l’incarcération massive de Noirs et de personnes de couleur, dont beaucoup ont été condamnés pour des accusations liées à la drogue. Les lois sur les drogues ont toujours eu un impact disproportionné sur les Noirs et les autres minorités. La «crise des opioïdes» actuelle a débuté en 1999. La première vague, de 1999 à 2010, a été attribuée aux analgésiques opioïdes sur ordonnance. La deuxième vague, dès 2010, à l’héroïne, et la troisième vague, à partir de 2013, au fentanyl. Nous sommes actuellement dans une quatrième vague de polytoxicomanie qui se caractérise par une forte augmentation des décès liés à la cocaïne, à la méthamphétamine et aux opioïdes. Au début de cette crise, les Blancs étaient les plus touchés et les chercheurs ont soutenu que les réponses à la crise des overdoses ont été moins sévères – c’est-à-dire moins criminalisées et plus axées sur la santé publique – pour cette raison-là.

Mais, pour la première fois depuis 1999, les Afro-Américains sont devenus les principales victimes des overdoses en 2020. Oui, et chez les Hispaniques, en particulier les Portoricains, aussi. Cela ne me surprend malheureusement pas. Sociologue de formation, je comprends le fonctionnement des inégalités. Les populations noires et d’autres groupes minorisés sont confrontés aux Etats-Unis à la stigmatisation et à la discrimination, ce qui limite les opportunités, les ressources et a aussi un impact négatif sur la santé. C’est ce que j’explique dans mes travaux. Cela se vérifie par exemple au niveau de l’accès à la prophylaxie pré-exposition (PrEP) pour la prévention du VIH et aux médicaments pour les troubles liés à la consommation d’opioïdes. Ou de la naloxone. J’explore aussi la manière dont le Covid-19 a aggravé les conditions de vie des personnes qui consomment des stupéfiants, déstabilisé les marchés de la drogue et, en fin de compte, augmenté le risque d’overdose. Précisons que c’est le marché non réglementé de la drogue qui est actuellement à l’origine des taux d’overdoses aux Etats-Unis, car c’est principalement le fentanyl présent dans l’offre de drogues, souvent à l’insu du consommateur, qui provoque la majorité des overdoses. Le contrôle des drogues est donc une stratégie importante pour les prévenir. Nous avons les connaissances et les outils pour prévenir les overdoses mortelles, mais ces ressources sont inégalement réparties à cause du racisme.

Justement: trouvez-vous que l’administration Biden agit correctement? Ce que nous pouvons faire, c’est vraiment augmenter dès maintenant l’accès à de nouveaux équipements d’injection, pour réduire les risques. Le financement des programmes de distribution de seringues devrait augmenter et nous devrions ouvrir des sites de consommation sûrs. Nous en avons dans la ville de New York, mais j’aimerais en voir davantage. Nous devrions aussi augmenter les contrôles des drogues afin que les gens aient la possibilité de savoir ce qu’ils consomment, comme lorsque vous commandez par exemple de l’alcool dans un bar.