Amérique latine
Les manifestations qui parcourent l’île depuis dimanche révèlent combien le régime perd de son emprise sur les Cubains. Un contestataire est mort lundi lors d'affrontements avec la police

C’est le retour de Raul Castro. A 90 ans, le frère de Fidel n’aura profité que d’une courte retraite depuis qu’il a cédé ses fonctions de premier secrétaire du Parti communiste cubain (PCC) à la mi-avril. L’ancien chef de l’Etat a présidé dimanche une réunion de crise du bureau politique du parti durant laquelle ont été étudiées «les provocations orchestrées par des éléments contre-révolutionnaires, organisées et financées par les Etats-Unis aux fins de déstabilisation», révèle en une Granma, le quotidien du PCC, dans son édition de mardi.
Après avoir répondu dimanche aux manifestants par de nombreuses arrestations et des tirs de gaz lacrymogène, les forces de l’ordre ont déployé le lendemain d’importants effectifs militaires pour mater un soulèvement qui avait perdu de son ampleur. «Le gouvernement a envoyé des Boinas Negras [Bérets noirs, les troupes spéciales, ndlr] et des Bérets rouges très bien formés et armés. La police affronte le peuple avec des armes et celui-ci ne peut pas se défendre», confie Pedro, un jeune Havanais de 27 ans. Lundi, un contestataire âgé de 36 ans a perdu la vie lors d'échauffourées entre manifestants et forces de l'ordre dans une banlieue de la capitale La Havane. «Ce qui a commencé dimanche comme une manifestation pacifique s’est vite transformé en affrontements, avec une responsabilité des deux côtés», estime Pedro, non sans envoyer une vidéo de policiers lançant des pierres sur la foule, après en avoir reçu.
Internet coupé
Cet ancien étudiant en économie, aujourd’hui au chômage, dénonce l’envoi de contre-manifestants, des militaires habillés en civil que des Havanais ont filmé enlevant leurs uniformes à la descente de leurs camions. «Lorsqu’il y a des manifestations officielles contre l’embargo par exemple, c’est toujours avec des gens qui ont été mobilisés que l’on fait passer pour des volontaires», confiait Marta, la mère de Pedro, il y a quelques semaines. La rapidité de la réponse du régime a été déterminante. D’une part, par l’ampleur des moyens militaires déployés, notamment à La Havane, mais aussi par la mise au pas de la principale arme des manifestants: internet. Les communications avec Cuba, sur écoute comme de coutume, se résumaient mardi à des SMS laconiques: «Il n’y a plus d’internet ici.»
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Dans son édition exceptionnelle de 16 pages mardi – contre 8 d’ordinaire –, Granma veut rassurer la population avec des interventions des principaux ministres. Celui de l’Energie promet une diminution des coupures de courant dans les prochains jours. Les manifestations de masse du 11 juillet ne sont pas les premières depuis la Révolution. Des milliers de Havanais ont protesté en 1980 et en 1994, forçant alors Fidel Castro à laisser des dizaines de milliers de compatriotes partir vers la Floride. L’exil des opposants ou des manifestants a toujours été la stratégie privilégiée par le régime.
Avertissement du régime
Cette fois, ce n’est pourtant pas uniquement la capitale qui a manifesté, mais toute l’île. La peur s’estompe. «Je me suis tenu à l’écart, car aller manifester est un suicide. Il y a des morts et des disparus», note Pedro. La disparition de la peur chez de nombreux manifestants s’explique par une situation alimentaire proche de la famine, mais aussi parce que Fidel et Raul Castro faisaient peur. Pas leur successeur, Miguel Diaz-Canel. Le retour de Raul Castro, très craint par la population, est d’ailleurs un signal envoyé aux manifestants. C’est aussi un signe de durcissement du régime envoyé à la fois aux Cubains restés chez eux et un message de mise en garde des militaires aux ministres civils du gouvernement.
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«Beaucoup de gens n’ont plus peur. Ils sont désespérés. Les Cubains ne connaissent pas l’histoire, que ce soit celle de 1980 ou de 1994. La différence avec aujourd’hui, c’est qu’à l’époque Fidel venait parler au peuple. Diaz-Canel a appelé à combattre les manifestants», note Pedro. Et d’ajouter: «Il n’a pas prononcé le mot guerre, mais on a tous compris.» Si la presse anti-castriste de Floride évoque un souffle démocratique, la majorité des manifestants se dissocie de la politique et demande seulement du pain. Pour Pedro, qui rechigne à se prononcer sur l’avenir, «c’est une révolution, mal organisée, mais une révolution».