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Donald Trump donne un coup de frein à l'immigration légale

Pour «préserver les emplois américains», le président suspend pendant soixante jours la délivrance de permis d'établissement pour les ressortissants étrangers. Une annonce qui s'adresse avant tout à ses électeurs

Donald Trump, lors de sa conférence de presse quotidienne à la maison-Blanche, mardi 21 avril.  — © AP /Alex Brandon
Donald Trump, lors de sa conférence de presse quotidienne à la maison-Blanche, mardi 21 avril.  — © AP /Alex Brandon

Comme annoncé, le président américain Donald Trump a signé mercredi un décret suspendant temporairement la délivrance de cartes vertes La mesure, a-t-il affirmé, vise à protéger les emplois américains en pleine crise liée au coronavirus.

C'est le genre de décision qui provoque inquiétudes et confusion. Mardi, comme il l'avait annoncé avec fracas la veille sur Twitter, Donald Trump a bien confirmé une «suspension temporaire» de l'immigration légale vers les Etats-Unis, mais pas de manière aussi drastique que prévue. A ce stade, se sont surtout les green cards, qui offrent le statut de résident permanent, qui ne seront plus délivrées pendant soixante jours, sauf exceptions. Donald Trump motive sa décision par la crise économique provoquée par l'épidémie due au coronavirus. Elle s'inscrit dans la droite ligne de son slogan «America First». Alors que plus de 22 millions d'Américains se sont inscrits au chômage en l'espace de quatre semaines seulement, le président veut «protéger les emplois», après «l'attaque de l'ennemi invisible». Et consolider ses chances de réélection le 3 novembre prochain.

Un tiers de visas de travail en moins

Contrairement à ce qui était d'abord pressenti, tout étranger désirant s'installer et travailler légalement aux Etats-Unis ne devra donc théoriquement pas reporter ses projets à plus tard. Les visas de travail temporaires ne sont, en principe, pas concernés par le décret. L'administration Trump est consciente que fermer le pays à certaines catégories de travailleurs étrangers - comme les ouvriers agricoles, les employés de boîtes dans la haute technologie ou encore ceux qui peuvent prétendre à des visas «pour compétences extraordinaires» dans le domaine des sciences, des arts, de l’éducation, des affaires ou du sport - serait problématique. Mais Donald Trump, avec son tweet nocturne, a recouru une fois de plus à la tactique de l'épouvantail, pour provoquer le tollé et occuper le terrain. A moins qu'il ait pris son administration par surprise et mis ses juristes dans l'embarras, contraints de faire marche arrière. Mardi, des entrepreneurs ont par ailleurs exprimé leurs vives inquiétudes. Des pressions ont été exercées sur la Maison-Blanche.

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Quoiqu'il en soit, un certain flou régnait encore mardi soir. Le contenu précis du décret devrait être dévoilé ce mercredi. Lors du point presse quotidien consacré au Covid-19, Donald Trump a souligné que la suspension de l'octroi des green cards serait réévaluée après 60 jours, n'excluant pas une prolongation du gel. Tout dépendra de la situation économique, a précisé le président. «Cette pause sur l'immigration placera les Américains sans emploi en première ligne pour les emplois au fur et à mesure de la réouverture de l'Amérique. Il serait injuste que les Américains soient remplacés par une main d'oeuvre venue de l'étranger. Nous devons donner la priorité aux travailleurs américains», a-t-il martelé. Sa porte-parole a rappelé que «des décennies d'immigration record ont entraîné une baisse des salaires et une hausse du chômage pour nos citoyens, en particulier pour les travailleurs afro-américains et latinos». Depuis que Donald Trump est au pouvoir, le nombre de visas d'immigration délivrés à des étrangers a diminué d'environ 25% en trois ans, passant de 617 752 en 2016 à 462 422 pour l'année fiscale 2019. Cette même année, 577 000 green cards ont été accordées.

Les propos de Donald Trump peuvent surprendre étant donné que ceux qui peuvent prétendre aux «cartes vertes» sont en principe déjà sur le sol américain. A quoi rime donc cette décision? S'agit-il d'un pur effet de manche? Ou le décret augure-t-il d'autres mesures plus restrictives à venir alors que les Etats-Unis veulent redémarrer leur économie? Donald Trump peut par ailleurs très bien ordonner à ses ambassades de se montrer moins généreuses dans l'octroi de visas, sans que cela figure nécessairement dans un décret rendu public.

Sur le front de l'asile également, Donald Trump envisage des coups de frein supplémentaires. A tel point que des organisations de défense des réfugiés l'accusent de profiter de la pandémie pour poursuivre son agenda de politique d'immigration restrictive, une de ses principales promesses électorales. Le président est déjà parvenu à faire en sorte que toutes les demandes d'asile déposées à la frontière sud des Etats-Unis soient examinées sur le sol mexicain, donc avant de franchir la frontière.

L'ombre du «Muslim Ban»

En début de mandat, en janvier 2017, Donald Trump avait pris une décision controversée pour interdire l'entrée sur le sol américain aux ressortissants de certains pays musulmans. Un décret plus connu sous le nom de «Muslim Ban», contesté à plusieurs reprises devant la justice. La décision actuelle est officiellement motivée par une situation extraordinaire, alors que les vols en provenance d'Europe ont déjà été suspendus à la mi-mars. Les frontières sont également fermées côté canadien et mexicain, pour le transit des personnes et non des marchandises, avec quelques exceptions. Début janvier déjà, Donald Trump avait restreint les déplacements avec la Chine. De facto, il demeure très difficile pour un étranger d'entrer aux Etats-Unis.

Restreindre l'immigration au nom de l'urgence sanitaire pour limiter les maladies contagieuses graves est un droit, rappelle le Cato Institute dans son blog. «Néanmoins, des interdictions générales telles que celles imposées récemment par l'administration et celles du 21 avril ont le même effet que fermer la porte de l'écurie une fois que le cheval s'est déjà échappé. La plupart des recherches sur les interdictions de voyages en réponse aux pandémies montrent qu'elles ne limitent pas la propagation des maladies, en partie parce qu'elles sont toujours imposées après que la maladie se soit propagée.» Donald Trump le dit d'ailleurs clairement lui-même: sa décision est d'abord motivée par sa volonté de préserver l'emploi pour les Américains, et non de limiter les risques de propagation du virus. Elle sert surtout son agenda conservateur.

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«Une décision digne d'un régime autoritaire»

Dès lundi soir, les réactions ont été très vives, notamment du côté des démocrates. Son tweet a suscité l'incompréhension. Pour l'élu texan Joaquin Castro par exemple, il ne s'agit que d'une manoeuvre de Trump pour «détourner l'attention de son échec à stopper la propagation du coronavirus», «une décision digne d'un régime autoritaire pour profiter d'une crise afin de pousser son programme anti-immigration».

L'annonce tombe alors que Donald Trump sème la zizanie en encourageant, via Twitter, les manifestations anti-confinement, organisées dans les quatre coins du pays, souvent par des patriotes aux idées extrémistes. Lundi, près d'un millier de protestataires se sont par exemple réunis à Harrisburg, en Pennsylvanie. Certains étaient armés et menaçants. Ailleurs, en Géorgie, les tensions sont telles que les maires des principales villes de l'Etat appellent à ne pas appliquer le plan de déconfinement décidé par le gouverneur sans les consulter.

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Par ailleurs, le gouverneur du New Jersey, un démocrate, vient de prendre une décision pour pallier à la pénurie de personnel médical dans son Etat: recourir temporairement à des médecins étrangers. Voilà une réalité que Donald Trump tend à ignorer: de nombreux médecins et travailleurs au front dans la lutte contre le Covid-19, que ce soient des chauffeurs de bus, des nettoyeurs ou des livreurs, sont des étrangers.