Etats-Unis
Alors que l'efficacité de la chloroquine contre le Covid-19 n'est ni confirmée ni infirmée, le président révèle en prendre un comprimé par jour depuis plus d'une semaine, à titre préventif. Une attitude potentiellement dangereuse

Ses déclarations ont aussitôt suscité indignation, inquiétudes et moqueries sur les réseaux sociaux. Donald Trump a révélé lundi qu'il prenait depuis plus d'une semaine de l'hydroxychloroquine contre le Covid-19. «Tous les jours, un comprimé par jour. A un certain moment, j'arrêterai», a-t-il souligné devant des médias. Or la puissante Food and Drug Administration américaine (FDA), l'organisme américain qui supervise la commercialisation des médicaments, venait, comme d'autres instances scientifiques, de mettre en garde contre le recours au médicament antipaludéen dont l'efficacité contre le coronavirus n'a pas encore été rigoureusement démontrée.
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«Qu'est-ce que vous avez à perdre?»
Si Donald Trump a choisi de prendre de l'hydroxychloroquine en mode prophylactique, c'est parce qu'il a entendu «beaucoup de choses extraordinairement positives» à son sujet. «Vous connaissez l'expression: qu'est-ce que vous avez à perdre?», a-t-il ajouté lors d'un surprenant échange avec des journalistes. Des Américains sont pourtant morts après avoir pris de la chloroquine en automédication. Le 23 mars, NBC News mentionnait le cas d'un couple dans l'Arizona qui a ingéré du phosphate de chloroquine après avoir entendu Donald Trump en parler à la télévision. L'homme en est mort, sa femme a été hospitalisée dans un état grave.
Arizona man dies after ingesting chloroquine in an attempt to prevent coronavirus. https://t.co/BG4xyZnKFv
— NBC News (@NBCNews) March 23, 2020
There are no drugs approved to try to prevent or treat the new coronavirus. Self-medicating to prevent the coronavirus can be dangerous and possibly deadly.
Les propos du président sont-ils susceptibles d'engendrer d'autres décès? La question mérite d'être posée. Avec ce nouvel épisode tout droit venu de Washington, on en viendrait presque à oublier celui de l'eau de javel et des rayons UV, ou le fait qu'il refuse obstinément de porter un masque alors qu'il l'impose à l'ensemble de la Maison-Blanche. Quand le président a laissé entendre qu'avaler des désinfectants pourrait être une solution, des producteurs de ce type de produit, horrifiés, ont dû émettre des recommandations publiques et démentir ses propos. Donald Trump a par la suite tenté de se justifier: ses propos étaient censés être «sarcastiques». Trop tard: tous ne l'ont pas compris de cette manière. La ligne d'urgence médicale du Maryland a été prise d'assaut par des Américains déstabilisés, ne sachant pas s'il fallait suivre les conseils présidentiels ou pas.
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«Si vous le souhaitez...»
Donald Trump vantait depuis des semaines le recours à la chloroquine, traitement recommandé par le professeur français Didier Raoult, avant de passer à l'acte. Il l'a probablement fait parce que le virus s'est infiltré à la Maison-Blanche: au moins deux personnes ont récemment été testées positivement. Il précise subir quotidiennement des tests de dépistage du Covid-19 et n'en avoir aucun symptôme. Lundi, il a également révélé prendre un antibiotique - de l'azithromycin - ainsi que du zinc. Il a assuré avoir obtenu le feu vert du médecin de la Maison-Blanche pour s'administrer de la chloroquine. En déroulant ainsi la conversation: «Je lui ai dit: "Vous en pensez quoi?". Il m'a répondu: "Si vous le souhaitez". J'ai dit: "Oui, ça me plairait"».
Fin avril, les autorités sanitaires américaines ont clairement recommandé de ne pas recourir à l'hydroxychloroquine, antipaludéen aussi utilisé contre certaines maladies auto-immunes, en dehors d'essais cliniques supervisés et dans le cadre de surveillance hospitalière. Que ce soit en prévention ou en cas avéré d'infection par le Covid-19. Selon la FDA, la chloroquine est notamment susceptible de provoquer de l'arythmie cardiaque.
So the so-called HHS Whistleblower was against HYDROXYCHLOROQUINE. Then why did he make, and sign, an emergency use authorization? @NorahODonnell said, “He shared his concerns with a reporter.” In other words, he LEAKED. A dumb @60Minutes hit job on a grandstanding Never Trumper!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) May 18, 2020
Une étude publiée début mai dans le New England Journal of Medicine relève que l'administration du produit n'aurait ni amélioré ni détérioré de manière significative l'état de patients gravement malades du coronavirus. Lundi, David Boulware, un médecin américain qui mène un essai clinique sur le sujet en ciblant le personnel soignant, a aussi insisté sur le fait qu'aucune nouvelle donnée ne permet de dire que prendre de la chloroquine en prophylaxie permet d'éviter de contracter le Covid-19. L'épidémiologiste Anthony Fauci, le visage de la lutte contre le coronavirus à la Maison-Blanche, a aussi incité à la prudence.
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Mais Donald Trump, pourtant connu pour sa germophobie, a déjà démontré par le passé que l'avis des scientifiques l'importait peu. Pire, il écarte ceux qui le contredisent trop. C'est ce qui est arrivé à Rick Bright, responsable d’une agence gouvernementale chargée de développer des traitements et vaccins contre le Covid-19. Il se dit victime d'un limogeage pour des raisons politiques, relégué à un poste moins important précisément parce qu'il avait osé critiquer le recours à la chloroquine prôné par Donald Trump sans aucune caution scientifique. Il s'en est expliqué dans un communiqué: «J’ai insisté pour que le gouvernement investisse les milliards de dollars alloués par le Congrès pour la pandémie de Covid-19 dans des solutions sûres et validées scientifiquement, pas dans des médicaments, des vaccins et d’autres technologies sans mérite scientifique».
Blessé, Rick Bright demande à l’inspecteur général de la Santé d’enquêter sur les motivations de l’administration Trump. Selon la NBC, qui a eu accès à un proche de Rick Bright, Donald Trump serait notamment devenu très pro chloroquine après une discussion avec le milliardaire Larry Ellison, fondateur d'Oracle, le géant américain de logiciels. Larry Ellison figure parmi ses donateurs et fidèles soutiens. Il fait aussi partie du groupe de travail de la Maison-Blanche sur la relance économique.
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