Guerre des étoiles, épisode 2. En 1983, Ronald Reagan lançait l’initiative de défense stratégique, visant à déployer des dizaines de satellites pour abattre en vol les missiles soviétiques avant qu’ils atteignent leur but. Et mettait à genoux l’URSS. Trente-cinq ans plus tard, Donald Trump veut créer la «force de l’espace». Sauf que le rapport de force militaro-stratégique s’est entre-temps inversé. Il s’agit pour les Etats-Unis de reconquérir une suprématie mise à mal par les Chinois et les Russes.

Dans les années 1980, les Américains avaient gagné la bataille de la Lune et dominaient l’espace avec leurs quatre navettes spatiales. Aujourd’hui, ils sont incapables d’envoyer un homme en orbite et doivent louer les services des Russes pour atteindre la Station spatiale internationale. Ils craignent en outre de voir leurs satellites civils et militaires menacés par les missiles russes et chinois, ou victimes de cyberattaques nord-coréennes ou iraniennes. L’espace est devenu le talon d’Achille du complexe militaro-industriel.

C’est la raison pour laquelle Donald Trump et son vice-président, Mike Pence, qui s’est approprié le sujet de la reconquête de l’espace, ont annoncé la création d’ici à 2020 d’une sixième branche armée consacrée à l’espace. Elle côtoierait l’armée de terre, la Marine (US Navy), le corps des Marines, les gardes-côtes et l’armée de l’air, dernière force autonome à avoir été créée, en 1947. Actuellement, c’est l’Air Force qui chapeaute l’essentiel des forces militaires américaines allouées à l’espace. Dominée par les pilotes, elle est accusée de ne pas y consacrer assez de moyens et d’énergie, alors que la menace s’accentue.

«Nouvelles armes de guerre»

«Depuis des années, des pays allant de la Russie à la Chine, en passant par l’Iran et la Corée du Nord, ont construit des armes pour bloquer, aveugler ou rendre inopérants nos satellites de navigation et de communication via des attaques électroniques lancées de la Terre. Mais, récemment, nos adversaires ont travaillé à mettre de nouvelles armes de guerre directement dans l’espace», a déclaré Mike Pence, le 9 août au Pentagone. Le vice-président a cité l’exemple de la Chine, qui avait détruit, au moyen d’un missile, un de ses propres satellites en 2007, et celui de la Russie, qui travaillerait sur un système laser aéroporté pour perturber les satellites.

Les deux pays sont accusés d’investir dans des missiles hypersoniques capables de voler à 8 km/s et indétectables par les radars des missiles de défense. Donald Trump avait fixé l’objectif dès la mi-juin: «Lorsqu’il s’agit de défendre l’Amérique, il ne suffit pas d’avoir une simple présence américaine dans l’espace. Nous devons obtenir une domination américaine dans l’espace.»

Le Ministère russe des affaires étrangères avait réagi dans la foulée. La militarisation de l’espace «pourrait avoir des conséquences aussi néfastes que la course aux armements nucléaires», avait déclaré une porte-parole, estimant que placer des armes dans l’espace «affecterait la stabilité stratégique et la sécurité internationale». Avant de rappeler que Pékin et Moscou avaient proposé un traité bannissant les armes dans l’espace.

«Gestion de chapelle»

Lorsque le président Dwight Eisenhower inaugura la course à l’espace dans les années 1950, il lança deux programmes. L’un, civil, devint la NASA: très connue du grand public, elle vient de désigner neuf astronautes pour piloter les capsules privées de Boeing et SpaceX censées être lancées en 2019. Il s’agit d’une première étape avant l’établissement d’une station permanente sur la Lune, préalable à la conquête de Mars.

L’autre programme, militaire, était plus discret mais tout aussi imposant, géré essentiellement par l’US Air Force. Ce système est à bout de souffle, à en croire un éditorial de l’agence Bloomberg, favorable à l’initiative de Donald Trump. Même si l’essentiel des forces spatiales est constitué des 30 000 employés de l’Air Force Space Command, dont le quartier général est dans le Colorado, et des 3000 personnes affectées au service Space and Missile Systems Center de Los Angeles, elles sont fragmentées entre 60 entités, dont l’Office national de reconnaissance ou l’Agence nationale de renseignement géospatial. Cette atomisation a réduit la force de frappe pour acheter du matériel moderne et a conduit les Etats-Unis à envoyer du matériel obsolète en orbite, accuse l’agence de presse.

La piste privilégiée jusqu’à présent était d’autonomiser partiellement les forces de l’espace au sein de l’armée de l’air, mais ce projet, voté en 2017 par la Chambre des représentants, a échoué en raison de l’opposition du Pentagone et de l’administration. Jusqu’à l’initiative de Donald Trump, qui a surpris les militaires et pris de court le secrétaire à la Défense, James Mattis, lequel avait fait part de son opposition.

«Je m’oppose à la création d’une nouvelle branche militaire et de nouvelles couches organisationnelles, à un moment où nous cherchons à réduire les frais de structure et à intégrer nos fonctions militaires», avait déclaré James Mattis en 2017. Le secrétaire à la Défense avait aussi estimé que la création d’une «Space Force» conduirait à une «gestion de chapelle». Le Wall Street Journal, réputé proche du Pentagone, a publié un éditorial opposé à la création de la «force de l’espace».

Huit milliards de dollars sur cinq ans

Le projet de Donald Trump n’est pas budgété et doit recevoir l’approbation du Congrès. L’administration, qui compte présenter des détails à l’automne, s’est fixé comme date l’année budgétaire 2020 – qui en réalité commence en octobre 2019. Mike Pence a demandé 8 milliards de dollars sur cinq ans pour renforcer la sécurité dans l’espace.

La «force de l’espace», dirigée par un général quatre étoiles, passerait par la mise en place d’un commandement unifié, qui développerait la doctrine et l’intégration des forces concernées, la création de forces spéciales opérationnelles, avec des troupes d’élite qui seraient déployées en Europe et en Asie dès 2019, le déploiement d’une agence de développement spatial pour concevoir les meilleures technologies et enfin la création d’un ministre adjoint à l’espace auprès du secrétaire à la Défense.

En pleine campagne pour les élections de mi-mandat de novembre, les équipes de Donald Trump ont demandé aux militants républicains de choisir parmi toute une série de logos pour la nouvelle institution. Les Russes, eux, se sont bien amusés. Leur ambassade à Washington a publié sur Twitter, vendredi 10 août, au lendemain des annonces de Mike Pence, un jubilatoire «Good Morning Space Forces!» («Bonjour les forces de l’espace!»). Lequel renvoyait sur le site des forces spatiales russes.