La journée avait commencé plutôt calmement. Et puis, à partir de 21h, le choc, le séisme. Dès 22h, le «New York Times» donnait déjà le milliardaire new-yorkais gagnant à 90%. A passé 2h du matin sur la côte Est américaine, place à la certitude: Donald Trump est bien le 45e président des Etats-Unis, alors que Hillary Clinton était jusqu’ici donnée gagnante dans les sondages. Cette perspective a fait chuter les marchés américains dans les contrats à terme.

«Une nuit historique», s’est félicité Mike Pence, le colistier de Donald Trump, vers 3h du matin, dans l’Hôtel Hilton devenu le QG du candidat. Le nouvel élu a de son côté assuré vouloir être le président de «tous les Américains», et a remercié Hillary Clinton pour son travail.

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Une campagne d’une rare violence

Comment en est-on arrivé là? Acteur d’une campagne d’une rare violence, de tous les excès, il s’est tour à tour distingué par des propos outranciers à l’égard des femmes, a déclaré que, lui élu, il mettrait Hillary Clinton, empêtrée dans son affaire d’e-mails privés, en prison, et a remis en cause le lieu de naissance de Barack Obama. Donald Trump, le populiste qui rejette les élites, a souvent été dépeint comme un poison pour la démocratie, prêt à ne pas reconnaître les résultats de l’élection.

S’il perd le scrutin, c’est forcément parce qu’il a été manipulé. C’est ce qu’il a affirmé à dix jours du Jour J. Il a lui-même parlé de crise institutionnelle, qu’il alimenterait. Une manière de pousser ses partisans à l’insurrection, à la division, à mille lieues du discours rassembleur de Hillary Clinton. Mais cette nuit, Donald Trump, en tête, s’est montré calme et confiant, entouré des siens dans un Hôtel Hilton à Manhattan, placé sous haute sécurité. Quelques heures plus tôt, une petite poignée de militants gesticulait devant l’hôtel, se perdant dans l’immense foule composée surtout de touristes, de policiers et de journalistes. «Hillary Clinton est corrompue et véreuse! Donald Trump, lui, sait nous écouter», hurlait Amy, un brin surexcitée. Même eux ne semblaient pas vraiment croire en une victoire de leur héros.

Fier d’être un homme d’affaires, ravi de ne pas émerger du marigot des politiciens «corrompus» selon ses propres termes («Drain the Swamp», son ultime slogan de campagne), il a laissé entendre que des Mexicains illégaux arrivant aux Etats-Unis étaient des violeurs. C’est encore lui qui, après une fusillade dans une boîte gay d’Orlando, perpétrée par un Américain de parents afghans, a déclaré de manière tonitruante qu’il fallait interdire à tout musulman étranger de venir aux Etats-Unis.

Reste que Donald Trump, qui agite le spectre de la peur, a su déplacer des foules aux urnes, convaincre des indécis. Il a su, avec ses propos simples et percutants, parler aux Blancs peu éduqués, inquiets de devenir à leur tour une minorité. L’Amérique en colère, il a su capitaliser là-dessus. Et créer la surprise, le revirement que personne n’osait sérieusement envisager, même si la candidate démocrate ne grappillait dans les sondages que quelques tout petits points d’avance.

Donald Trump à la Maison-Blanche, qui, rappelons-le est soutenu par David Duke, ex-leader du Ku Klux Klan, promet des surprises. Il a une vision très binaire du monde, négocie en pratiquant le chantage, avec un style agressif et autoritaire, privilégie les formules chocs aux phrases nuancées. Son livre publié en 1987 «The Art of the Deal» permet de mieux comprendre le système Trump. Il a promis lors de la campagne de «battre la Chine et et le Japon». Et œuvre un peu comme dans l’émission de la téléréalité «The Apprentice», avec son légendaire «You’re fired» asséné aux candidats jugés incapables.

Trump, c’est la synthèse d’une disruption majeure du système politique, où il exerce son influence à travers Twitter et ses plus de 13 millions de followers. Son franc-parler, et ses déclarations qui tiennent en 140 signes, c’est sa marque de fabrique. Mais son équipe l’en a privé dans les derniers jours, de crainte qu’il ne sape ses toutes dernières chances. Ses proches l’avaient enjoint d’adapter un comportement plus «présidentiel». Le voilà qui se trouve sur les marches de la Maison-Blanche malgré tous les excès auxquels il s’est adonné.

Après le scandale de l’enregistrement de 2005 révélé par le «Washingon Post», où le milliardaire new-yorkais prétend pouvoir faire ce qu’il veut avec les femmes, sa cote de popularité a baissé, et le trublion a été lâché par de nombreux républicains. Jusqu’à ce que Hillary Clinton ait été rattrapée par l’affaire des e-mails, avec une nouvelle enquête demandée par le patron du FBI. Le score s’est alors resserré. Et a démontré qu’une immense partie des Etats-Unis, désécurisée et en colère, était prête à voter pour celui qui est capable de parler le même langage qu’elle. Donald Trump a ratissé large et a même su convaincre une part de l’électorat noir, venu moins nombreux voter qu’en 2012, pour la réélection de Barack Obama. C’étaient d’ailleurs surtout des Afro-Américains qui brandissaient des pancartes et vendaient des T-shirts avec ses meilleurs slogans anti-Hillary Clinton, mardi soir devant le Hilton.

Dans cette nuit frénétique, l’ambassadeur de France aux Etats-Unis, Gérard Araud, est sorti de sa réserve diplomatique. «Après le Brexit et cette élection, tout est désormais possible. Un monde s’effondre devant nos yeux. Un vertige», écrivait-il sur Twitter, avant même que les résultats définitifs ne soient connus. Il a fini par effacer son tweet.

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