La meilleure défense est l’attaque. La crise politique que traverse le Brésil depuis quelques mois en offre une parfaite illustration. La Chambre des députés a voté dimanche par 367 voix contre 136 en faveur de la destitution de la présidente Dilma Rousseff, accusée d’avoir ordonné des bricolages budgétaires pour minimiser l’ampleur des déficits publics. Or, plus de la moitié des parlementaires mobilisés en cette occasion ont maille à partir avec la justice. A commencer par le président de leur assemblée, Eduardo Cunha.

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Cet ancien courtier en assurances a commencé sa carrière politique aux côtés du trésorier de campagne de l’ancien président Fernando Collor de Mello, acculé à la démission au début des années 1990 pour des soupçons de corruption. Il a été lui-même accusé de diverses irrégularités à l’époque, alors qu’il présidait l’Entreprise publique de télécommunications de l’Etat de Rio de Janeiro. Avant d’être destitué en l’an 2000 de la direction d’une compagnie d’habitation pour le même type de raisons. Une nouvelle que sa propre femme, Claudia Cruz, présentatrice de journal télévisé, a dû donner à l’antenne.

Malgré ces «casseroles», Eduardo Cunha a connu un grand succès sur la scène politique de son pays en défendant un agenda ultraconservateur. Adversaire acharné de l’avortement et avocat virulent de la création d’un «Jour de la fierté hétérosexuelle», il s’est imposé à la Chambre des députés comme le principal représentant du groupe «BBB», «Bœuf, Bible, Balles». Un collectif informel qui défend les intérêts des puissants lobbies de l’agrobusiness, des Eglises pentecôtistes et des armes à feu. Membre du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), à l’idéologie changeante, il s’est appuyé sur les milieux évangéliques pour arracher l’an dernier la présidence de la Chambre basse du parlement.

Arrivé tout près du sommet de l’Etat, Eduardo Cunha a été rattrapé par une nouvelle affaire de corruption, l’une des plus graves de l’histoire du pays, le scandale Petrobras. Le ministère public brésilien l’accuse d’avoir reçu d’une collection d’entreprises des millions de francs de pots-de-vin en échange de contrats juteux avec la compagnie pétrolière nationale – des sommes qui auraient été déposées notamment sur différents comptes suisses. Selon un procureur, les charges pesant contre lui sont si lourdes qu’elles pourraient lui valoir jusqu’à 184 ans de prison.

Le pouvoir de lancer une procédure de destitution

«Cunha est maintenant une bête blessée qui n’a plus grand-chose à perdre», a commenté l’an passé une éditorialiste du journal O Estado de S. Paulo, avant de rappeler à ses lecteurs le pouvoir de nuisance du politicien. Le président de la chambre des députés a sous son doigt un «bouton magique», a-t-elle expliqué: la faculté de rebattre toutes les cartes en lançant contre le chef de l’Etat une procédure de destitution.

Le politicien, qui a toujours nié les accusations portées contre lui, a longtemps hésité sur la stratégie à suivre. Devait-il négocier avec le pouvoir en place pour obtenir les voix nécessaires au sein de la Commission d’éthique chargée de trancher sur son sort? Ou avait-il plutôt intérêt à lui déclarer la guerre, en s’attaquant frontalement à Dilma Rousseff? En octobre dernier, alors que l’étau judiciaire se resserrait sur lui, il a jugé «très étrange cette accélération des poursuites (à son encontre) à la veille de décisions sur la destitution». Belle façon de retourner la situation, quand on pouvait estimer très suspecte l’accélération de la procédure de destitution à la veille de décisions judiciaires le concernant…

95% des Brésiliens réclament la tête d'Eduardo Cunha, selon un sondage

Le PMDB a finalement opté pour la confrontation. Une stratégie qui paraît jusqu’ici gagnante, puisque la Chambre des députés l’a avalisée et qu’il ne reste plus que le Sénat pour la mettre en échec. Le paradoxe est que les actes de corruption dont est accusé Eduardo Cunha sont au moins aussi graves que les tours de passe-passe budgétaires prêtés à Dilma Rousseff. Et que les Brésiliens sont encore plus nombreux à souhaiter la chute du premier – 95% d’entre eux, selon un sondage de l’institut Datafolha – qu’à souhaiter la destitution de la seconde.

Au Brésil, Eduardo Cunha est volontiers comparé à Franck Underwood, le très cynique vice-président américain qui s’empare de la Maison Blanche dans la série télévisée House of Cards. Mais l’intéressé ne s’en émeut guère. «C’est un voleur, un homosexuel et un assassin, réplique-t-il. Moi pas.» Une réponse digne d’un mot d’auteur.