Elle ne s'est pas laissée faire. Quand Elizabeth Warren a quelque chose sur le coeur, elle le dit. Ce jour-là, le 7 février, au Sénat, elle a décidé de lire une lettre de la veuve de Martin Luther King, pour exprimer son opposition à la nomination de Jeff Sessions, comme ministre de la Justice.

En 1986, Jeff Sessions, connu pour ses positions ultra-conservatrices et accusé de racisme, était pressenti pour un poste de juge fédéral. Mais la commission Justice du Sénat lui avait barré la route. Un fait extrêmement rare. Coretta Scott King avait adressé une lettre aux sénateurs, dans laquelle elle accusait Jeff Sessions «d'entraver le libre exercice du droit de vote des citoyens noirs».

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Icône féministe anti-Trump

C'est cette lettre qu'Elizabeth Warren, 67 ans, a ressorti le 7 février dernier. Mais à peine a-t-elle commencé à la lire qu'elle a été méchamment réduite au silence, par le leader de la majorité républicaine du Sénat, Mitch McConnell. Elle a été priée de se taire. Se taire? Elizabeth Warren a fait mieux: elle est sortie de la salle pour aller lire la missive dans les couloirs, devant une caméra.

Il n'en a pas fallu davantage pour qu'un immense mouvement de soutien se forme autour de la pugnace sénatrice démocrate du Massachussets, faisant d'elle une icône féministe anti-Trump. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #LetLizSpeak a fleuri. Sa vidéo a été vue des milliers de fois, et des T-Shirts, pin's et tatoos, avec les mots «Nevertheless, she persisted» - prononcés par Mitch McConnell - ont déferlé.

Jeff Sessions est devenu ministre. Mais la renommée d'Elizabeth Warren, qui incarne plus que jamais la résistance à Donald Trump et à son administration, n'en a que pris l'ascenseur. C'est une guerrière, une battante, une passionnée capable de s'enflammer sans craindre la critique. Elle agace les républicains conservateurs, qu'elle ne se prive pas d'asticoter régulièrement.

Elizabeth Warren n'est membre du Sénat que depuis janvier 2013. Spécialiste du surendettement et du droit des faillites, elle a longtemps été professeure de droit à l'Université de Harvard. Son nom reste surtout associé à la crise financière de 2008: elle a été nommée présidente du panel de surveillance du Congrès lié au plan Paulson. Sous la présidence de Barack Obama, elle devient, en septembre 2010, assistante du président et conseillère spéciale au secrétaire du Trésor.

Elle avait été pressentie pour diriger le Bureau américain de protection des consommateurs, dont elle est à l'origine, mais une forte opposition des républicains a poussé Barack Obama à y renoncer. Cette année-là, Time Magazine la qualifie de «nouveau shérif de Wall Street». 

Il y a des banquiers qui auraient dû avoir les menottes au poignet

Shérif? Influente parmi les démocrates, et plus particulièrement chez les progressistes de l'aile gauche - ses admirateurs la poussaient à se lancer dans la campagne présidentielle -, la sénatrice est célèbre pour ses virulentes prises de position contre l'argent et le pouvoir. Elizabeth Warren, c'est Main Street (l'Américain moyen) contre Wall Street. «Combien de cadres de Wall Street ont-ils été poursuivis pour leurs actes criminels?», a-t-elle lancé après la crise des subprimes. Le «Il y a des banquiers qui auraient dû avoir les menottes au poignet», c'est aussi elle. Pour l'éditorialiste David Ignatius, du Washington Post, elle mène son «djihad» contre Wall Street. Rush Limbaugh, un animateur de radio ultra-conservateur, la qualifie de «dangereuse radicale».

Quand elle se lance dans la course au Sénat, en septembre 2011, pour tenter de récupérer le siège occupé par le républicain Scott Brown après la mort de Ted Kennedy, elle tient un discours qui marque, sur l'imposition des riches. Il inspirera Barack Obama. Surtout, elle parvient à récolter plus de 39 millions de dollars pour sa campagne. Une manière de faire un fabuleux pied de nez à ses détracteurs: se faire élire au Sénat en faisant campagne contre les grandes banques et sans l'argent de Wall Street est parfaitement possible.

Héritage cherokee revendiqué

Elle dénonce aussi régulièrement la droitisation du Parti républicain. Et n'épargne pas Donald Trump, une «brute raciste», un «loser», un «mélange toxique de haine et d'insécurité». Le président la traite en échange de «Pocahontas». Une allusion à l'héritage cherokee qu'elle revendique.

Sa supposée lointaine ascendance amérindienne a fait l'objet d'une polémique pendant sa course au Sénat, ses détracteurs l'accusant de l'avoir inventée. Même Donald Trump s'était fendu, en juin, d'un tweet pas vraiment amical: «Goofy Elizabeth Warren, parfois appelée Pocahontas, prétend être une Amérindienne pour faire avancer sa carrière. Très raciste!».

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Issue d'une famille modeste

La sénatrice, issue d'une famille modeste, a appris à se battre très tôt. L'amour du débat et de l'art oratoire, elle l'a dans le sang. Adolescente, elle remporte le prix de la «meilleure débatteuse des lycées d'Oklahoma». A 16 ans, elle obtient, toujours grâce à ses capacités oratoires, une bourse pour l'université George Washington, qu'elle quittera à 19 ans pour se marier. Mais rester femme au foyer, c'est très peu pour elle. Titulaire d'un bachelor en sciences sur les pathologies de la parole, Elizabeth Warren poursuit ses études de droit quand sa fille a deux ans. Elle devient avocate après avoir mis au monde son deuxième enfant. 

En avril, elle publiera un nouveau livre, «This fight is our fight», consacré à la classe moyenne. Le dernier s'appelait «Fighting Chance». Son esprit combatif la poursuit jusque dans ses couvertures de livres.


Profil:

1949: Née le 22 juin, à Oklahoma City

1995: Enseigne le droit à l'Université d'Harvard

2009: Nommée par le Times dans la liste des "100 personnalités les plus influentes"

2010: Barack Obama la nomme conseillère spéciale à la Maison Blanche et au Trésor. Est chargée de mettre sur pied un Bureau de protection des consommateurs

2012: Est élue au Sénat, en novembre