Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, les Etats-Unis ont procédé à un tir de missile, dérivé du modèle Tomahawk, d’une portée supérieure à 500 km. L’essai, réussi, a eu lieu dimanche sur l’île de Saint-Nicolas, au large des côtes californiennes, a indiqué le Pentagone. Il intervient moins de deux semaines après le retrait conjoint des Etats-Unis et de la Russie du traité INF sur l’interdiction des missiles balistiques dits à portée intermédiaire (entre à 500 km et 5500 km), signé en 1987 par les présidents Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev.

Même si l’opération était prévue depuis des mois par le Pentagone, qui avait communiqué sur un tir en août, «c’est un des verrous en matière d’armement qui vient de sauter, car le traité sanctionnait la fin de la guerre froide», explique Jean-Pierre Maulny, spécialiste des questions de défense à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Or, trente ans après sa signature, la carte géopolitique mondiale a changé. La Chine est entrée dans le ballet des grandes puissances militaires et la Russie y a fait un retour en force sous l’ère Poutine. Les guerres en Géorgie en 2008, en Ukraine depuis 2014 et en Syrie depuis 2015 témoignent de la volonté, à Moscou, de rappeler que ses zones d’influence historiques sont non négociables. Dans le camp américain, le tir de dimanche est donc déjà «une forme de réassurance par rapport à la sécurité de l’Europe», analyse Jean-Pierre Maulny.

«On aurait pu étendre le traité à d’autres pays»

Les indices convergeaient de toute façon vers la mort imminente du traité INF. «Il ne faut pas oublier que ce n’était qu’un traité bilatéral» entre l’Union soviétique et les Etats-Unis, rappelle Jean-Pierre Maulny. En parallèle, un bon nombre d’autres pays ont développé des missiles à portée intermédiaire, sans pour autant subir de réelles pressions américaines ou russes quant à un désarmement à l’échelle mondiale. Pour Marc Finaud, conseiller au Centre des politiques de sécurité (GSCP) de Genève et spécialiste de la prolifération des armes nucléaires, «on aurait pu étendre le traité à d’autres pays. Mais ça n’a jamais été fait. Notamment parce que les néo-conservateurs américains comme John Bolton ne veulent pas se lier les mains avec des traités et empêcher la production de missiles.»

L’administration Trump est-elle pour autant la principale responsable du réarmement actuel? La tendance est plus ancienne, remarque Marc Finaud: «La nouvelle course à l’armement est déjà entamée depuis le début des années 2000, avec le retrait des Etats-Unis du traité ABM [limitant le stock de missiles anti-balistiques] sous George Bush.» Depuis, les velléités guerrières de la Russie dans ses anciens pays satellites ont accentué la présence américaine en Europe de l’Est, via l’OTAN et son «bouclier antimissile» courant de la Roumanie à la Pologne. «On arrive à un point culminant de ce processus», indique Marc Finaud.

La crainte des missiles à technologie nucléaire

La plupart des experts mettent désormais en avant le danger d’une escalade au moyen de missiles non plus conventionnels, mais équipés de technologie nucléaire. «Le vrai test, ce sera la prolongation ou non du traité New START, sur la réduction des armes stratégiques nucléaires, qui arrive à échéance», assure Jean-Pierre Maulny. Cet accord, signé entre l’administration Obama et le gouvernement russe de Medvedev, est l’un des derniers textes sur le désarmement encore appliqué par la Russie et les Etats-Unis. Entré en vigueur en 2011, il est valable pour une durée de dix ans. Jusqu’en 2021, donc, soit un an après la fin du mandat de Donald Trump. Le président américain n’a jusqu’à présent pas confirmé s’il prolongerait le traité. Se pose aussi la question, pour la Russie comme pour les Etats-Unis, d’y intégrer ou non la Chine, dont la technologie nucléaire s’est nettement améliorée ces dernières années.

Les craintes liées aux missiles équipés d’un système nucléaire sont réapparues il a deux semaines, lorsqu’une mystérieuse explosion a causé la mort de cinq personnes sur une base secrète du Grand Nord russe. Si aucune explication définitive n’a été donnée jusqu’à présent sur l’origine de l’accident, de nombreux experts tablent sur un nouveau programme russe de missiles à propulsion nucléaire. Une technologie difficile à développer car nécessitant une miniaturisation du réacteur nucléaire adaptée à la petite taille d’un missile. Les Etats-Unis avaient commencé à concevoir des programmes similaires pendant la guerre froide. Avant d’abandonner l’idée, jugée trop dangereuse.