Qui dit vrai? Dans le froid de l’Iowa, où la température est tombée à -17°C dans la nuit de mardi à mercredi, Bernie Sanders et Elizabeth Warren n’ont pas vraiment enterré la hache de guerre à propos de la polémique sur les chances d’une femme de battre Donald Trump. A la fin du 7e débat démocrate télévisé un peu terne qui s’est tenu à la Drake University, à Des Moines, le premier a même tendu sa main à la seconde dans le vide. Elizabeth Warren ne l’a pas prise. Elle avait des choses à dire à son «ami».

Lire aussi: Six candidats démocrates dans le froid de l’Iowa

«Regardez les hommes sur ce plateau»

Cette séquence, qui tourne en boucle sur les réseaux sociaux, est la preuve que la campagne se durcit. Bernie Sanders est désormais, pour la première fois, donné gagnant dans l’Iowa. Une place de favori qui n’a rien d’anodin: ce petit Etat rural du Midwest de 3 millions d’habitants est le premier, avec son caucus du 3 février, à ouvrir le bal des primaires en vue de l’investiture démocrate à la présidentielle, et représente donc un bon «baromètre». Ces jours, les candidats sillonnent plus que jamais l’Etat en long et en large, à la rencontre de leurs potentiels électeurs.

Et qui dit favori, dit aussi donner et recevoir des coups. Joe Biden, en tête dans les sondages nationaux (RealClearPolitics le crédite de 28% des intentions de vote), a eu un peu de répit mardi soir à Des Moines, tout comme ses trois autres rivaux présents sur scène, Pete Buttigieg, Amy Klobuchar et Tom Steyer: Bernie Sanders et Elizabeth Warren, les deux candidats les plus progressistes qui jusqu’ici faisaient presque front commun, leur ont volé la vedette, et pas forcément pour les bonnes raisons.

Une partie de poker menteur

Alors, Bernie Sanders a-t-il bien déclaré à la sénatrice, en 2018, qu’elle n’avait aucune chance, comme femme, d’être élue présidente? C’est ce qu’affirme Elizabeth Warren, qui l’accuse également d’orchestrer, à travers ses bénévoles, une campagne de dénigrement à son encontre. Bernie Sanders nie avoir tenu ces propos: «Il est ridicule de croire qu’à la même réunion où Elizabeth Warren m’a dit qu’elle allait se présenter à la présidence, je lui dirais qu’une femme ne pouvait pas gagner…»

Il a également rappelé avoir, en 2016, attendu de voir si elle se présentait avant d’annoncer sa propre candidature. Elizabeth Warren avait de son côté bien préparé sa réponse, provoquant des applaudissements dans la salle: «Une femme peut-elle battre Donald Trump? Regardez les hommes sur ce plateau. A eux tous, ils ont perdu dix élections. Les seules personnes ici qui aient gagné toutes les élections auxquelles elles se sont présentées sont les femmes, Amy [Klobuchar, ndlr] et moi.»

Cette controverse, ou partie de poker menteur, risque-t-elle de nuire au sénateur, déjà accusé par le passé de sexisme? Probablement pas. Plus en forme que jamais depuis sa crise cardiaque du 1er octobre, il a multiplié les attaques mardi soir, s’en prenant aussi à Joe Biden et son vote en 2002 pour autoriser George W. Bush à intervenir militairement en Irak. Un vote que Biden reconnaît lui-même comme une «erreur». Elizabeth Warren, qui a bénéficié du temps de parole le plus long, a par ailleurs précisé ne pas vouloir «se battre avec Bernie».

«Trump en prison!»

Comment expliquer que le sénateur de 78 ans, le plus à gauche des candidats, remonte dans les sondages dans l’Iowa? Preuve de son succès populaire, «Crazy Bernie», comme le surnomme Donald Trump, est aussi celui qui a récolté le plus de fonds ces derniers mois, tout en refusant l’argent des grands donateurs. Bernie Sanders bénéficie d’un solide socle de soutien datant de 2016, alors qu’il avait perdu la primaire démocrate face à Hillary Clinton.

Il a toujours été constant dans ses idées, défendant avec vigueur une couverture médicale universelle, la gratuité des universités ou encore la défense des travailleurs, en prônant un salaire minimum de 15 dollars de l’heure. Il combat depuis près de quarante ans les inégalités salariales et fiscales. Et peut désormais compter sur le précieux soutien d’Alexandria Ocasio-Cortez, benjamine du Congrès et phénomène médiatique. Beaucoup de ses militants sont jeunes. Mardi soir, certains roulaient, à l’approche du débat, autour de l’université, avec une voiture à haut-parleur. «Trump in the Jailhouse, Sanders in the White House! (Trump en prison, Sanders à la Maison-Blanche!)», hurlaient-ils en boucle. Bernie Sanders en est persuadé: son étiquette de «socialiste», qui le place aux antipodes de Donald Trump, lui permettra de gagner l’élection.

L'avenir réserve peut-être quelques suprises

Sa position de favori dans l’Iowa, avec 20% des intentions de vote, n’est toutefois peut-être qu’éphémère: comme le démontre le dernier «poll» du Des Moines Registrer/CNN/Mediacom réalisé par la «papesse» des sondages J. Ann Selzer auprès de 701 démocrates, Elizabeth Warren (17%), Pete Buttigieg (16%) et Joe Biden (15%) ne sont pas très loin derrière. Alors que Pete Buttigieg était encore en tête en novembre, ils se tiennent dans un mouchoir de poche. La sénatrice modérée Amy Klobuchar (6%) et le milliardaire Tom Steyer (2%) risquent par contre d’avoir plus de peine à remonter, de même qu’Andrew Yang (5%).

La course à l’investiture démocrate peut encore réserver des surprises. Aucun candidat, à ce stade, ne se démarque vraiment dans l’Iowa, et les indécis sont encore nombreux. Cela ne risque pas de s’arranger la semaine prochaine: Bernie Sanders, Elizabeth Warren et Amy Klobuchar vont probablement devoir mettre leur campagne de terrain entre parenthèses à cause du procès en destitution de Donald Trump, qui démarre au Sénat. Le centriste Joe Biden saura-t-il en profiter?