La Genève internationale s’est réveillée avec la gueule de bois. Mis à part les attaques directes contre l’OMC, elle n’a pas été directement visée dans la campagne électorale du nouveau président des Etats-Unis Donald Trump. Mais la ville, qui se veut le laboratoire de la gouvernance mondiale, sera forcément touchée par le retour à l’unilatéralisme américain. Les Etats-Unis sont non seulement la première puissance mondiale mais aussi les premiers pourvoyeurs d’aide internationale et contributeurs du système des Nations-unies. Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a félicité Donald Trump, lui rappelant que les «défis globaux contemporains nécessitaient des actions et des solutions concertées».

«J’espère que les Etats-Unis continueront d’être des champions du financement», veut croire un haut fonctionnaire international. Mais, comme beaucoup, il n’a aucune certitude à laquelle se raccrocher. Le président Trump sera-t-il aussi radical que le candidat était outrancier? A Genève, on attend la suite avec anxiété. Pour certains, le retour de bâton risque d’être violent.

Trump comme l’Etat islamique?

En pleine campagne américaine, dans un discours très remarqué à La Haye, le Haut-commissaire aux droits de l’homme, le Jordanien Zeid Ra’ad Al Hussein, avait dénoncé «les populistes, les démagogues, les fantaisistes politiques». Dans le lot, il avait cité nommément le futur locataire de la Maison blanche. Les «populistes» ont en commun avec l’Etat islamique de vouloir «revenir à un passé supposément parfait», expliquait-il. «C’est un mirage» et «ses promoteurs sont des tricheurs. Des tricheurs rusés».

Au lendemain de la victoire de Donald Trump dans les urnes, le Haut-commissariat aux droits de l’homme ne se démonte pas. «Si nous pensons que les décisions ou les pratiques de la prochaine administration américaine sapent ou violent les droits humains de groupes particuliers ou d’individus, nous le dirons, comme nous l’avons fait dans le passé. Et comme nous le faisons dans le reste du monde», assure Rupert Colville, le porte-parole du Haut-commissariat, interrogé par Le Temps.

«Le camp occidental affaibli»

A Genève, rares sont les organisations internationales à se risquer à commenter l’accession de Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale. Barack Obama avait signé le retour des Etats-Unis comme leader dans les enceintes onusiennes pour tourner la page de l’invasion de l’Irak par George W. Bush au mépris du droit international. «L’élection de Trump va affaiblir le camp occidental, redoute un diplomate. Les Européens partagent des valeurs communes avec les Etats-Unis, le Canada et certains pays latino-américains mais nous sommes de moins en moins nombreux». La bataille avec les autocraties est particulièrement vive au Conseil des droits de l’homme, où les Etats-Unis avaient fait leur retour en 2009.

«Dans ses discours, Donald Trump parle beaucoup de puissance, mais très peu de droit et de multilatéralisme, analyse le politologue américain Daniel Warner. De plus, il n’est entouré par aucun diplomate». A l’inverse, la promotion des droits humains et la volonté de consulter tous les pays pour faire face aux défis globaux comme la migration ou le changement climatique constituent l’essence de la Genève internationale.

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Le précédent Ronald Reagan

L’ancien ambassadeur suisse François Nordmann compare l’arrivée de Donald Trump aux commandes avec celle de Ronald Reagan en 1981 et la première génération des néoconservateurs. «C’est l’époque où les Américains ont pris les Nations-unies à contre-pied, en se montrant rigoureux sur les budgets, en se retirant de l’Unesco, qui incarnait pour eux l’inclination tiers-mondiste des Nations-Unies», rappelle-t-il. «C’est cette attitude de défiance qui aurait le plus de conséquences sur la Genève internationale. Mais il est largement trop tôt pour s’inquiéter», rassure le président du Conseil d’Etat genevois François Longchamp. «Donald Trump ne porte de toute évidence pas le multilatéralisme dans son cœur, mais l’appétit vient en mangeant», ironise encore le magistrat en soulignant l’importance de l’OMC pour l’économie américaine et son industrie d’exportation.

«Dans le pire des cas, que peut-il se produire? imagine François Nordmann. Le retrait des Etats-Unis de certaines enceintes, ou des diminutions de budgets. Si les Nations-unies se réforment sous l’impulsion du nouveau secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, en diminuant les doublons et en améliorant l’efficacité, Donald Trump pourrait aussi s’en accommoder, ce qui atténuerait les effets de la révolution trumpienne.»

Halte à la «bien-pensance»

L’admiration de Donald Trump pour Vladimir Poutine pourrait-elle relancer les négociations de paix sur la Syrie à Genève, actuellement au point mort? «Une convergence entre les deux puissances peut permettre des trêves. Mais un règlement durable du conflit implique davantage d’acteurs, donc des solutions multilatérales», répond Yves Daccord, le directeur du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

Plus fondamentalement, le directeur appelle à tirer les leçons de la victoire de Donald Trump: «Ce n’est pas la première fois que des pans entiers de la société se sentent exclus du système», analyse Yves Daccord. En tant qu’organisation humanitaire, nous ne devons pas seulement dialoguer avec les autorités ou des groupes armés mais directement avec la population».

«Dans les sphères internationales, on regarde trop souvent le monde de haut, renchérit un diplomate. La bien-pensance de la Genève internationale risque de se prendre Donald Trump en pleine figure».