Luis Ricardo Miranda est un homme discret et posé. C’est pourtant ce haut fonctionnaire anonyme du Ministère de la santé qui pourrait faire tomber Jair Bolsonaro. Responsable des importations du Ministère, il a dénoncé des malversations dans l’achat du vaccin indien Covaxin qui éclaboussent le président brésilien. Vendredi 25 juin, son témoignage devant la Commission d’enquête parlementaire (CPI) sur la gestion de la pandémie de Covid-19 par le gouvernement a donné un coup de fouet à une procédure de destitution du président d’extrême droite.

Mercredi, 11 partis allant de la gauche au centre droit ainsi que d’anciens bolsonaristes et des mouvements sociaux ont présenté une «super pétition» rassemblant plus de 120 demandes de destitution qui se sont accumulées sur le bureau du président de la Chambre des députés Arthur Lira. Il lui appartient maintenant d’ouvrir ou non un procès qui pourrait durer plusieurs mois. Il n’a aucun délai imposé pour décider.

Pour faire pression sur le parlement, l’opposition a appelé les Brésiliens à descendre samedi dans la rue. «Nous devons nous unir. Ces protestations vont montrer ce que demande le Brésil: dehors Bolsonaro», a lancé le député José Guimaraes, vice-président du Parti des travailleurs (PT), fondé par l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva.

Pressions «atypiques et excessives»

Le scandale a éclaté quand Luis Ricardo Miranda a expliqué devant la CPI avoir suspecté des malversations dans le contrat d’achat du vaccin Covaxin fabriqué par le laboratoire indien Bharat Biotech. Ce contrat prévoyait un prix de 15 dollars par vaccin, très supérieur à tous ceux achetés par le Brésil. Trois millions de doses devaient être livrées, alors même que le Covaxin n’avait pas reçu le feu vert des autorités sanitaires. Luis Ricardo Miranda affirme avoir été l’objet de pressions «atypiques et excessives» de la part de ses supérieurs pour qu’il approuve le paiement. Ce qu’il a refusé de faire.

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Lui et son frère Luis Carlos Miranda, un député élu en 2018 avec la vague qui a porté Jair Bolsonaro au pouvoir, ont raconté avoir averti en mars le président de leurs suspicions. Celui-ci aurait alors promis de transmettre l’affaire à la police fédérale, mais ce n’est que mercredi, trois mois plus tard, qu’une enquête officielle a été lancée. S’il était prouvé que le président avait fermé les yeux sur ces malversations, il s’exposerait à la grave accusation de prévarication.

«Les dernières accusations de corruption dans l’achat de vaccins donnent encore plus de force à notre demande», veut croire l’un des chefs de l’opposition, Alessandro Molon. Pourtant les analystes voient très peu de chances pour que cette nouvelle demande, même baptisée de «super pétition», aboutisse à la destitution de Bolsonaro.

«Elle participe à l’affaiblissement du gouvernement mais elle va rencontrer les mêmes problèmes que les précédentes: la résistance du président de la Chambre qui reste un allié du président. Je ne vois aucun signe qu’il puisse rompre avec lui», estime Michael Mohallem, avocat et professeur de droit public. Arthur Lira est le leader du Centrao, un rassemblement de partis de droite considérés comme le «faiseur de roi» de toute majorité.

Popularité en chute

Jusqu’ici, la Commission d’enquête, mise en place par le Sénat à la fin du mois d’avril, s’était concentrée sur la gestion calamiteuse par le gouvernement Bolsonaro de la pandémie de la Covid-19 qui a fait plus de 500 000 morts. Sans apporter de révélations. «Son travail portait sur les omissions du gouvernement, la recommandation de la chloroquine, le retard dans l’achat de vaccins, c’est-à-dire des questions de santé. Mais il s’agissait de faits connus de tout le monde. Aujourd’hui, son attention s’est portée sur la corruption. C’est un nouvel acte et il est beaucoup plus difficile pour le gouvernement de se défendre», juge Michael Mohallem.

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C’est en tout cas un coup rude porté à l’image de Jair Bolsonaro, élu sous la bannière de la lutte anti-corruption. Cette affaire tombe d’autant plus mal pour le président brésilien que sa popularité est déjà en chute. Candidat à sa réélection, un sondage récent le crédite de seulement 23% des intentions de vote contre 49% à son vieux rival Lula, si l’élection présidentielle prévue dans seize mois avait lieu aujourd’hui. Comme toujours, quand il se sent en difficulté, l’ex-capitaine parachutiste part à l’offensive: «Ils ne réussiront pas à nous atteindre. Ce n’est pas avec des mensonges ou avec une CPI composée de sept bandits qu’ils vont nous tirer d’ici.»