Jair Bolsonaro dénonce l’ingérence
Amérique du Sud
Le président brésilien a très mal pris les remarques d’Emmanuel Macron sur les Etats susceptibles de s’opposer aux intérêts de la planète. Alors qu’il a beaucoup perdu en popularité depuis son élection, il s’est lancé dans une surenchère sur le thème de la souveraineté nationale

Le Brésil s'est finalement dit «ouvert» à «une aide financière d'organisations et de pays de l'étranger» pour lutter contre les incendies en Amazonie à condition de contrôler les fonds, a annoncé mardi un porte-parole du gouvernement, qui avait rejeté la veille une offre du G7. «Le point essentiel est que cet argent, une fois entré au Brésil, n'aille pas à l'encontre de la souveraineté brésilienne et que la gestion des fonds soit sous notre responsabilité», a-t-il déclaré.
Lundi, avant même l’annonce officielle par le G7 du déblocage d’urgence de 20 millions de dollars pour l’envoi de bombardiers d’eau, le président Jair Bolsonaro a réveillé la vieille hantise d’une convoitise internationale de la forêt, qui confine à la paranoïa chez ses partisans. «Est-ce qu’on aide quelqu’un sans attendre de contrepartie?» a-t-il lancé, n’hésitant pas à accuser d’arrière-pensées Emmanuel Macron, avec lequel il a eu une passe d’armes intense ces derniers jours: «Il a l’œil sur l’Amazonie?», ajoutait-il. Le leader populiste joue à fond la carte nationaliste pour mobiliser ses troupes. Emmanuel Macron se serait assis sur la souveraineté du Brésil en discutant du sort de l’Amazonie en l’absence du pays qui en détient la plus grande partie (60%).
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Or, c’est bien l’ancien militaire qui a lui-même internationalisé la crise. La réputation du Brésil repose sur la protection de la plus grande forêt tropicale de la planète. «Capitaine tronçonneuse» a préféré jouer avec le feu, en laissant faire les défricheurs. Jair Bolsonaro a jugé à tort que le démantèlement en règle de la gouvernance environnementale, promis aux divers lobbys notamment agricole, qui l’ont porté au pouvoir, aurait l’aval de la population, épuisée par la récession économique. Selon un sondage récent, 96% des personnes interrogées, et notamment ses propres électeurs, sont favorables à un resserrement des contrôles sur le défrichement illégal.
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Critiques majoritaires
Résultat: après seulement huit mois au pouvoir, les Brésiliens qui jugent défavorablement son style de gouvernement sont désormais majoritaires (54% en août, contre 28% en février). Le taux d’avis favorables est, lui, tombé de 57,5% à 41%. «De plus en plus de Brésiliens ont honte de Bolsonaro, commente l’universitaire Renato Janine Ribeiro, ancien ministre de l’Education. Même parmi ses électeurs, beaucoup regrettent d’avoir voté pour lui.»
A commencer par les exportateurs agricoles qui, sans lui retirer leur soutien, essaient de le ramener à la raison. Leur crainte: voir capoter l’accord de libre-échange UE-Mercosur, comme le menace la France. Vendredi, alors que tournaient en boucle les images de la forêt en flammes, l’Elysée a accusé Jair Bolsonaro d’avoir «menti» sur le respect des engagements environnementaux du Brésil, réaffirmés lors du G20 d’Osaka en échange d’un aval français à ce traité. Jair Bolsonaro a alors traité Emmanuel Macron de «colonialiste», pour avoir parlé de «crise internationale». Son fils et l’un de ses ministres taxent, qui d’«idiot», qui de «crétin» le locataire de l’Elysée.
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Ineptie, racisme, grossièreté
Si la surenchère verbale permet au leader populiste de fidéliser son électorat le plus radical – le seul qui compte pour lui –, «politiquement, l’affaire semble profiter davantage à Macron, commente un observateur. Bolsonaro lui a donné l’occasion de se refaire une virginité écologique. Par son ineptie, son racisme, sa grossièreté, le président brésilien donne tous les jours des verges pour se faire battre. En ce sens, il est une aubaine pour ses pairs.» «Pas même sous la dictature, le pays n’avait connu une crise d’image aussi grave, assène l’ancien diplomate Rubens Ricupero. Bolsonaro est le chef d’Etat le plus méprisé et détesté au monde. Pas même Trump, pas même Duterte ne provoquent une telle colère aujourd’hui.»
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Et maintenant? Le président brésilien exige que Macron «retire ses insultes», pour accepter l’offre du G7. Mais aussi, qu’il revienne sur une déclaration n’excluant pas un statut international pour l’Amazonie. «Ce n’est pas le cadre de l’initiative que nous prenons [au G7] mais c’est une vraie question qui se pose, si un Etat souverain prend de manière concrète des mesures qui d’évidence s’opposent à l’intérêt de toute la planète», avait précisé le président français.
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Pour contourner la France, le Brésil envisagerait une coopération avec les pays de l’organisation du traité de coopération amazonienne, qui n’inclut pas la Guyane, voire avec les Etats-unis de Trump (qui a également proposé son aide) et Israël, «les deux seuls pays qui comptent pour lui», précise Renato Janine Ribeiro. «Sur le fond, la position de Jair Bolsonaro quant à la souveraineté brésilienne sur l’Amazonie est la même que celle de Lula, reprend l’observateur anonyme. Mais vu sa personnalité, et dans le contexte du G7, ça a créé un clash.»