Le jeu dangereux de Donald Trump avec la Russie
Présidentielle américaine
La tempête politico-médiatique au sujet des propos du milliardaire invitant Moscou à pirater les e-mails d’Hillary Clinton choque outre-Atlantique. Le milliardaire new-yorkais, qui cherche à développer des affaires en Russie, est jugé «irresponsable»

«Beyond the pale.» Il a dépassé les bornes. «C’est un acte de trahison antiaméricain». Au Wells Fargo Center de Philadelphie qui accueillait la convention démocrate jusqu’au discours d’investiture d’Hillary Clinton hier soir, toutes les conversations ne tournaient pas autour de l’allocution de Barack Obama ou de la performance de Lenny Kravitz. Elles se focalisaient sur un seul thème: Donald Trump et la Russie. Lors d’une conférence de presse tenue mercredi, le candidat républicain a une nouvelle fois provoqué une disruption majeure sur la scène politique américaine et capté toute l’attention médiatique du moment: «Russie, si vous écoutez, a-t-il déclaré, j’espère que vous serez capable de retrouver les 30 000 e-mails qui manquent» de la messagerie privée qu’Hillary Clinton avait utilisée quand elle était secrétaire d’Etat. «Je pense que nos médias vous en seront très reconnaissants.»
Des manœuvres au détriment des intérêts sécuritaires du pays
Dans l’histoire des campagnes électorales outre-Atlantique, c’est du jamais vu: un candidat à la Maison-Blanche invitant Moscou à s’adonner au cyberespionnage pour glaner des informations du gouvernement américain et influer sur une élection présidentielle. La tempête politique déclenchée par le candidat populiste intervient peu après la diffusion par WikiLeaks de 20 000 courriels piratés par des hackers dont l’un d’eux, dénommé Guccifer2, apparaît comme étant proche du GRU, les renseignements militaires russes.
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Les e-mails révélaient le biais des instances du parti en faveur d’Hillary Clinton au détriment de son rival des primaires Bernie Sanders. A la convention, l’ancien chef du Pentagone Leon Panetta avait de la peine à contenir sa colère face à cet électoralisme «irresponsable» au détriment des intérêts sécuritaires du pays. Il a exhorté le peuple américain à élire Hillary Clinton à la Maison-Blanche le 8 novembre. A Washington, on s’inquiète d’autant plus du caractère incontrôlable de Donald Trump que ce dernier va bientôt être briefé par les agences de sécurité nationale et de renseignement sur les défis géopolitiques auxquels fait face l’Amérique, comme il est de coutume avec les candidats investis pour la présidentielle.
Donald Trump en a pourtant rajouté, estimant qu’il pourrait considérer accepter l’annexion de la Crimée par la Russie. Ces propos ont interloqué Washington pour qui l’intégrité territoriale de l’Ukraine est un principe fondamental ancré dans l’Acte d’Helsinki. Ils s’ajoutent aux déclarations du milliardaire qui affirmait voici peu qu’il ne défendrait pas forcément un membre de l’OTAN si le pays en question n’avait pas correctement rempli ses obligations budgétaires envers l’Alliance atlantique. Jeudi, sur Fox News, le prétendant à la Maison-Blanche a expliqué que ses déclarations n’étaient en fait qu’une plaisanterie. Il a aussi redit son admiration pour le maître du Kremlin: «Poutine est un meilleur leader qu’Obama car Obama n’est pas un leader.» Le président russe avait lui-même qualifié Donald Trump de «talentueux» avant de préciser, voici quelques jours, qu’il voulait plutôt dire «flamboyant».
La Russie, un terrain d’affaires pour Donald Trump
L’empathie de Donald Trump envers la Russie, dont les relations avec les Etats-Unis se sont fortement tendues, a soulevé nombre d’interrogations sur la relation que le magnat de l’immobilier entretient avec les Russes. Il a récemment déclaré n’avoir aucune relation d’affaires avec eux à l’exception d’une propriété qu’il avait acquise aux enchères et qu’il avait revendue au Russe Dmitri Rybolovlev. En 2013, il était sur le point de rencontrer Vladimir Poutine lors d’un concours de Miss Univers qu’il organisait à Moscou avant que le maître du Kremlin ne se décommande à la dernière minute. Mais il rencontra son intermédiaire, le «Trump russe», Aras Agalarov qui le paya 14 millions de dollars pour l’événement et avec lequel il espère toujours pouvoir traiter.
Je préfère jouer au poker contre Hillary. Je gagnerais à chaque coup.
Pour Donald Trump, la Russie est un terrain d’affaires intéressant qu’il explore depuis les années 1980 déjà. Ces dernières années, il a cherché à construire une Trump Tower au cœur de Moscou. Sans succès. Son directeur de campagne Paul Manafort a aussi traité avec de nombreux oligarques russes et conseillé l’ex-président ukrainien Viktor Yanoukovich, longtemps l’homme de Moscou à Kiev.
Poutine veut-il dès lors faire élire Trump à la présidence des Etats-Unis? Ce printemps, l’ambassadeur de Russie à Washington participa à un meeting électoral du candidat républicain axé sur la politique étrangère, rompant le devoir de réserve généralement lié à sa fonction. Un ancien responsable des renseignements américains cité par le «Washington Post» estime néanmoins peu probable que Vladimir Poutine souhaite peser sur le scrutin de novembre. Ce serait, le cas échéant, une escalade très risquée. Amateur de la théorie des jeux, ce spécialiste pense que Moscou préférerait traiter avec Hillary Clinton. L’ex-secrétaire d’Etat est, dit-il, «incroyablement prévisible. […] Je préfère jouer au poker contre Hillary. Je gagnerais à chaque coup.»