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Jovenel Moïse, un homme d'affaires à la tête d'Haïti

Le président élu a promis de convertir sa moitié d'île en pays exportateur de produits alimentaires biologiques

Jovenel Moïse a été élu avec 55,6% des voix — © AP Photo/Dieu Nalio Chery
Jovenel Moïse a été élu avec 55,6% des voix — © AP Photo/Dieu Nalio Chery

Rarement scrutin aura duré aussi longtemps. L'homme d'affaires Jovenel Moïse a été confirmé mardi vainqueur de l'élection présidentielle en Haïti, quinze mois après en avoir remporté le premier tour. Entre contestations de résultats, manifestations de rue et ouragan dévastateur, la compétition est passée par tous les états au cours de l'année 2016 avant de recommencer à zéro le 20 novembre dernier à l'occasion d'un «second premier tour». Le feuilleton est cette fois terminé, a annoncé mardi le Conseil électoral provisoire: le candidat a écrasé tous ses adversaires en obtenant d'emblée la majorité absolue, avec 55,6% des suffrages, ce qui doit lui permettre d'accéder le 7 février prochain à la tête de l'Etat.

Le vainqueur a quelque chose de Donald Trump. Il s'est lancé dans la course sans avoir exercé au préalable la moindre fonction politique et en jouant sur sa réussite d'homme d'affaires. Un tel profil est moins rare qu'aux Etats-Unis cependant. La classe politique haïtienne est si déconsidérée que, pour qui brigue la magistrature suprême, il est devenu avantageux de ne pas sortir de ses rangs. En témoignent notamment les élections du prêtre défroqué Jean-Bertrand Aristide et du chanteur Michel Martelly, le chef de l'Etat sortant. Quant à la carrière entrepreneuriale du président élu, qui dirige une société d'exportation de «bananes biologiques» destinées surtout à l'Allemagne (Agritrans), elle en a imposé dans un pays misérable sous constante perfusion internationale.

Economie exsangue

Jovenel Moïse s'est donné un programme à son image. Il a promis d'être un président à la fois volontariste et pragmatique, en laissant entendre, comme le magnat new-yorkais de l'immobilier, que son approche d'homme d'affaires trancherait avantageusement avec les démarches de ses prédécesseurs. Surfant sur sa propre réussite, il a même précisé durant sa campagne qu'il verrait bien Haïti se convertir en exportateur de produits alimentaires biologiques.

Mais ces promesses seront difficiles à tenir. L'économie haïtienne est exsangue, avec un taux d'extrême pauvreté qui excède les 25% et une croissance rachitique faute d'investissements publics et privés. Le pays a la malchance, par ailleurs, d'être régulièrement frappé par des catastrophes naturelles de grande ampleur, tel le très meurtrier tremblement de terre de 2010 dont il ne s'est pas encore remis: les «abris temporaires» dressés à l'époque abritent encore 1,5 million de personnes. Et pour tout arranger, le pays perd ses cerveaux, ceux-là même dont aurait besoin un effort sérieux de redressement. Mais voilà: les Haïtiens sont nombreux à ne plus y croire, notamment les plus jeunes et les moins mal instruits, au point que des milliers d'entre eux fuient chaque mois leur pays.

Entraves politiques

A ces obstacles économiques s'ajoutent des entraves politiques. Dans l'hypothèse où Jovenel Moïse souhaiterait tenir quelques-unes de ses promesses, il part avec de sérieux handicaps. Son autorité restera toute relative dans un pays où la corruption est endémique et le recours aux armes fréquent. Sa légitimité populaire sera médiocre malgré l'excellent score qu'il a réalisé en novembre, le scrutin ayant connu un taux de participation catastrophique de l'ordre de 21%. Enfin, sa marge de manoeuvre sera limitée par la dette qu'il a contractée au cours de sa campagne envers quelques grosses fortunes. Ses «sponsors», qui lui ont permis par exemple d'être le seul candidat à parcourir le pays en hélicoptère, s'attendent maintenant à être remboursés... et supporteraient mal d'être déçus.