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«Le juge Brett Kavanaugh est le symbole de l’impunité masculine»

L’historienne américaine des relations entre hommes et femmes Joan Wallach Scott était cette semaine à Genève. Elle évoque les accusations contre le juge Brett Kavanaugh, candidat à la Cour suprême, dans le sillage du mouvement #MeToo

Le candidat à la Cour suprême Brett Kavanaugh prête serment avant son audition par une commission du Sénat le 4 septembre 2018. — © Andrew Harnik/AP Photo ©
Le candidat à la Cour suprême Brett Kavanaugh prête serment avant son audition par une commission du Sénat le 4 septembre 2018. — © Andrew Harnik/AP Photo ©

Universitaire de renommée internationale pour sa définition pionnière du genre comme sujet d’étude historique, l’historienne et féministe Joan Wallach Scott a donné une conférence cette semaine à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève. Dans ce cadre, elle sera la première femme à recevoir le Prix Edgar de Picciotto, bienfaiteur de l’institution d’études genevoise, qui a déjà récompensé l’œuvre d’Amartya Sen, Saul Friedländer et Paul Krugman.

©Amercian Academy of Arts & Sciences
©Amercian Academy of Arts & Sciences

Alors que le monde politique américain est en tumulte autour des accusations contre Brett Kavanaugh, candidat à la Cour suprême américaine, elle revient sur le mouvement #MeToo et la persistance de la domination masculine.

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Le Temps: Quel regard portez-vous sur les accusations contre le juge Brett Kavanaugh?

Joan Wallach Scott: Je crois que les accusations à son encontre sont vraies. Tout ce qu’il avait à faire, à mon avis, était d’avouer et de faire acte de contrition. Pourquoi nier? Cela démontre à mes yeux la persistance d’une culture du «mauvais garçon blanc» qui peut tout se permettre, qui n’assume pas les conséquences de ses actes. Un symbole de l’impunité masculine. A l’instar de Donald Trump, Kavanaugh a sans doute cru qu’il allait s’en sortir. Comme bien d’autres hommes de pouvoir, il a appris que ses méfaits seraient toujours couverts. A présent, son manque d’intégrité apparaît au grand jour.

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Que répondez-vous à ceux qui estiment que le scandale arrange bien les démocrates?

C’est bien pour cela que Trump les accuse d’avoir tout inventé. Mais évidemment, en politique, tout est instrumentalisé, et les démocrates ne font pas exception à la règle. Bien sûr qu’ils ont intérêt à repousser l’élection de Kavanaugh le plus possible, dans l’espoir de s’opposer à son élection s’ils parviennent à récupérer une majorité au Sénat ou à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat en novembre.

D’après vous, le mouvement #MeToo est-il un pas dans la bonne direction?

#MeToo a permis de révéler une culture de domination masculine passée sous silence depuis très longtemps, masquée par les progrès indéniables de la société en matière d’égalité. D’un autre côté, le mouvement peut aller trop loin. Parfois, une accusation suffit à une condamnation, sans que des recherches approfondies aient été menées. Dans certains cas, cela a eu des conséquences pour certaines personnes sans la présence de preuves suffisantes de leur comportement inadéquat.

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Pourquoi y a-t-il une telle résurgence d’opposition à l’égalité des sexes et au genre?

Dans le courant conservateur actuel, le genre paraît être une approche radicale et dangereuse. La droite, incarnée par des figures comme Donald Trump ou Viktor Orban, ne veut pas changer les relations de genre. Elle estime que Dieu, ou la nature, a fait l’homme et la femme différents et que les inégalités découlent de ces différences naturelles.

Les hommes et les femmes ne sont-ils pas naturellement différents?

Non, je ne le crois pas, du moins pas dans les capacités mentales ou physiques. La notion de la différence corporelle et biologique est trompeuse. Elle n’est en aucun cas une justification des inégalités. Ce sont ceux qui veulent maintenir le statu quo qui se raccrochent le plus au déterminisme biologique.

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Récemment, le «New York Times» a publié l’affaire d’Avital Ronell, éminente professeure de langues et féministe de renom, accusée de harcèlement sexuel par l’un de ses anciens élèves. L’abus de pouvoir est-il plus une question de position que de masculinité?

Jusqu’à un certain point, oui. Les abus sont possibles dans n’importe quelle relation de pouvoir. Néanmoins, cela ne change rien au fait qu’il existe une culture de supériorité masculine et qu’une demande sexuelle en retour d’une protection ou d’une faveur émane plus souvent d’un homme que l’inverse. Dès lors, le cas d’Avital Ronell représente une forme d’exception, même si je ne pense pas que ce qu’elle a fait constitue du harcèlement sexuel.

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Certaines figures du féminisme, dont vous faites partie, ont signé une lettre de soutien à Avital Ronell. Est-ce paradoxal de soutenir l’une des vôtres, tout en dénonçant la culture du silence et de solidarité autour des hommes?

Je ne pense pas que cela ait été hypocrite de notre part de la défendre. Comme je l’ai dit, il ne faut pas condamner les gens de manière aveugle et une accusation n’équivaut pas à une culpabilité automatique. Cela dépend de la situation.

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