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Laurence Tribe: «Destitué, Donald Trump ne pourrait pas se représenter en 2024»

Pour le professeur de droit à l’Université Harvard, les récents événements sont le point culminant de la «terrible erreur» commise par les Etats-Unis en 2016 en élisant un «autocrate narcissique»

Donald Trump posant pour un portrait à l’occasion de son 100e jour dans ses fonctions de président, le 21 avril 2017. — © AP
Donald Trump posant pour un portrait à l’occasion de son 100e jour dans ses fonctions de président, le 21 avril 2017. — © AP

Depuis l’attaque du Capitole, Laurence Tribe est un homme très sollicité. Professeur de droit constitutionnel à l’Université Harvard et coauteur, avec Joshua Matz, du livre To End a Presidency – The Power of Impeachment (2018), il est consulté par des élus démocrates pour préparer les articles d’impeachment visant Donald Trump. Désormais privé de son compte Twitter, le président, qui ne donne aucun signe de vouloir démissionner, pourrait dès lundi se retrouver sous le coup d’une seconde procédure de destitution. Pour qu’elle aboutisse, il faudrait que deux tiers des sénateurs veuillent le démettre de ses fonctions. Les chances sont maigres. Mitch McConnell, leader des républicains au Sénat, vient d’ailleurs de préciser dans un mémo qu’aucun procès en destitution ne pourrait avoir lieu avant l’investiture de Joe Biden, sauf si la totalité des sénateurs y est favorable.

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Le Temps: Vous aidez à rédiger les articles d’impeachment. Quels sont les motifs mis en avant?

Laurence Tribe: L’esprit de l’article de mise en accusation – il n’y en a pour l’instant qu’un seul – est de rappeler que Donald Trump, qui prétend à tort avoir gagné l’élection, a incité une foule en colère à attaquer et à envahir le Capitole pour empêcher la certification de sa défaite, causant mort et déprédations au cœur de la démocratie américaine. L’article décrit cette incitation à l’insurrection comme un «crime et délit majeur», passible d’impeachment, qui met gravement notre république en danger [la section 4 de l’article 2 de la Constitution précise: «Le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des Etats-Unis seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs», ndlr].

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Impeachment, 25e amendement: le temps est court pour tenter de démettre Donald Trump de ses fonctions. Est-on essentiellement dans le symbolique?

Le temps est court, mais si la Chambre des représentants met Trump en accusation cette semaine et que le Sénat, contrairement à la déclaration d’intention actuelle du chef de la majorité Mitch McConnell, se réunit avant l’investiture de Joe Biden qui a lieu le 20 janvier, ce serait théoriquement possible d’essayer de le condamner et d’assortir le verdict de destitution d’une interdiction d’exercer à nouveau une fonction fédérale. Destitué, Donald Trump pourrait être empêché de se présenter pour un nouveau mandat présidentiel en 2024. De nombreux universitaires pensent d’ailleurs que le Sénat aurait le pouvoir de le juger, le condamner et l’empêcher d’occuper une nouvelle fonction même s’il quitte le pouvoir avant le début du procès. Mais les avis divergent à ce sujet. Si Trump est seulement mis en accusation par la Chambre mais pas démis de ses fonctions par le Sénat et donc pas interdit de se représenter, alors oui, il s’agirait d’un acte essentiellement symbolique. Mais avec une énorme signification historique. Aucun président américain n’a été «impeaché» deux fois et aucun n’a jamais été mis en accusation pour incitation à l’insurrection, délit proche de la trahison. En plus du marqueur historique que cela représenterait, beaucoup pensent par ailleurs qu’un vote de la Chambre des représentants diminuerait le risque de voir Donald Trump commettre un mal irréparable avant la fin de sa présidence.

Que voulez-vous dire?

Il serait conscient que le Sénat, qui a le pouvoir décisionnel final, pourrait à tout moment décider de le condamner et le disqualifier pour toutes fonctions officielles futures. Les membres de son gouvernement seraient également moins susceptibles d’exécuter des ordres nocifs.

Des ministres ont démissionné. Une manière d’échapper à la question du 25e amendement, qui ne peut être déclenché que si le vice-président et une majorité du cabinet l’actionnent?

Je vois en effet la démission des ministres Elaine Chao et Betsy DeVos comme un acte de lâcheté destiné à les protéger de la question du 25e amendement, dans le cas où le vice-président Pence changerait d’avis et déciderait de l’invoquer.

Quelle est selon vous la responsabilité pénale de Donald Trump par rapport à l’attaque du Capitole qui a fait cinq morts?

Une enquête détaillée menée par le FBI et le Ministère de la justice sous Biden déterminera s’il peut être tenu pénalement responsable, mis en examen, condamné et emprisonné après avoir quitté la présidence. Mais il est clair que ses actes justifient en tout cas qu’il soit mis en accusation par le Congrès et démis de ses fonctions, des mesures davantage protectrices que punitives.

Donald Trump pourrait-il encore chercher à s’«auto-pardonner» ou démissionner avant le 20 janvier pour obtenir le pardon de Mike Pence, qui deviendrait alors président jusqu’à l’investiture de Biden? De quoi cela le protègerait-il vraiment?

Aucune grâce accordée par un président américain ne peut le protéger de poursuites pénales lancées par un Etat ou à un niveau plus local, comme cela semble se dessiner du côté de New York et de la Géorgie. Si Trump démissionne ou qu’il est destitué avant le 20 janvier midi, Pence pourrait uniquement le gracier pour des poursuites fédérales. Maintenant, Donald Trump peut-il se gracier lui-même? Je dirais que la réponse est non. C’est l’avis partagé par la plupart des universitaires, même si certains estiment que nous nous trompons. La seule façon de savoir qui a raison serait que le Ministère de la justice de Biden inculpe Trump pour des crimes commis avant de quitter son poste et laisse les tribunaux décider si la grâce qu’il déciderait de s’accorder exige ou pas l’abandon d’un tel acte d’accusation.

Que retiendront les livres d’histoire des récents événements?

Pour moi ces événements resteront dans les mémoires comme le point culminant, honteux et effroyable, mais malheureusement prévisible, de la terrible erreur que les Etats-Unis ont commise en élisant, à la plus haute fonction du pays, un autocrate narcissique, ignorant, imbu de lui-même et délirant, avec des attitudes de suprémaciste blanc, sans respect ni empathie pour les autres.

Trump est-il politiquement mort? Le trumpisme lui survivra-t-il?

Politiquement mort ou simplement politiquement comateux? Il pourrait renaître des cendres des incendies qu’il a allumés. Et je ne doute pas que le trumpisme, qui n’est pas une idéologie politique cohérente mais une sorte d’impulsion sectaire à la recherche d’un leader, survivra dans une certaine mesure, mais espérons-le diminué, refoulé dans l’ombre qui est le propre de tous ces mouvements maléfiques et extrêmes.

Sur ce sujet, lire finalement une chronique: Le trumpisme n’existe pas