L'avortement, un thème de campagne toujours plus brûlant aux Etats-Unis
Etats-Unis
Avec sa position restrictive sur l'avortement, Joe Biden s'est éloigné de la ligne de son parti. Seul contre tous? Après deux jours de polémique, il a fait marche arrière. D'autres candidats démocrates s'avèrent aussi quelque peu ambigus...

Le très sensible débat sur l'avortement devient toujours plus un thème de campagne aux Etats-Unis. Alors que plusieurs Etats américains conservateurs viennent d'adopter des lois restrictives, Joe Biden, le grand favori parmi les démocrates pour l'élection présidentielle de 2020, se fait épingler sur le sujet.
En cas de viols et d'incestes
Ces derniers jours, il a été au coeur de plusieurs controverses. Et ce sont tout particulièrement ses propos sur les interruptions de grossesse qui lui ont valu une volée de bois vert. Joe Biden est perçu comme un anti-avortement. En soutenant l'amendement Hyde voté en 1976, il s'est positionné en faveur d'une utilisation très stricte des fonds fédéraux destinés à financer les avortements des Américaines les plus modestes: uniquement en cas de viols, d'incestes, ou lorsque la mère est en danger.
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Après deux jours de polémique, il a fini par faire marche arrière. Un couac qui pourrait lui faire perdre de précieuses voix? Les prochains sondages le diront. Ses propos ont été jugés particulièrement déplacés par les associations féminines, qui craignent que l'arrêt de la Cour suprême de 1973 Roe v. Wade, qui a légalisé l'avortement dans le pays, puisse être inversé. Elles se sont insurgées contre ce qu'elles considèrent comme une politique discriminatoire à l'égard des femmes pauvres, celles qui ne peuvent par exemple pas se permettre d'aller dans un autre Etat pour mettre fin à leur grossesse. «La plateforme du Parti démocrate est clair comme de l'eau de roche en soutenant le droit à des avortements sûrs et légaux, et en voulant abroger l'amendement Hyde, une position adoptée par la majorité des électeurs», rappelait mercredi la directrice de Planned Parenthood dans un communiqué. «Nous encourageons Joe Biden à parler aux gens dont la vie est affectée par cette politique discriminatoire et à réévaluer sa position.»
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C'est ce qu'il a fini par faire jeudi soir, lors d'un gala en Géorgie organisé par le Comité national démocrate. Conscient qu'il braquait ses électeurs en s'éloignant de la base de son parti, l'ancien vice-président sous Barack Obama a fait marche arrière et déclaré qu'il ne pouvait «plus soutenir un amendement qui rend le droit aux soins dépendant de son code postal». Avait-il affiché son soutien à l'amendement Hyde à des fins stratégiques, pour couper l'herbe sous les pieds de Donald Trump, qui lancera officiellement sa campagne le 18 juin? Pas sûr. Certains de ses anciens écrits sont remontés à la surface. Comme cette lettre, de 1994, du temps où il était sénateur, exhumée par la NBC. «Je continuerai à suivre le principe qui m'a guidé au cours de mes 21 ans au Sénat: ceux d'entre nous qui sont opposés aux avortements ne devraient pas être obligés de les financer», écrivait-il à un électeur.
Des droits non négociables
Les autres candidats démocrates s'étaient très vite distancés de lui, sans directement le nommer. Bernie Sanders, numéro 2 dans les sondages, a déclaré mercredi qu'il allait se battre pour l'abrogation de l'amendement Hyde. La numéro 3, Elizabeth Warren, a fait de même. Idem pour Kamala Harris, souvent en quatrième position dans les sondages. Pour elle, les femmes ne doivent pas être inégales face à l'avortement en raison de leur situation économique.
There is #NoMiddleGround on women’s rights. Abortion is a constitutional right. Under my Medicare for All plan, we will repeal the Hyde Amendment.
— Bernie Sanders (@BernieSanders) 5 juin 2019
«L'abrogation de l'amendement Hyde est essentielle pour que les femmes à faible revenu en particulier puissent avoir accès aux soins dont elles ont besoin et qu'elles méritent», a de son côté déclaré Kirsten Gillibrand, sur Twitter. «Les droits reproductifs sont des droits humains, un point c'est tout. Pour tous les démocrates, ils ne devraient pas être négociables».
Repealing the Hyde Amendment is critical so that low-income women in particular can have access to the reproductive care they need and deserve.
— Kirsten Gillibrand (@SenGillibrand) 5 juin 2019
Reproductive rights are human rights, period. They should be nonnegotiable for all Democrats.
Joe Biden, seul contre tous? La situation n'est pas aussi simple. Car comme le rappelle Politico, certains candidats qui demandent aujourd'hui l'abrogation de l'amendement Hyde ont voté, dans le cadre d'un paquet de loi plus large, en faveur de textes tout aussi restrictifs. Elizabeth Warren, par exemple. Kirsten Gillibrand, Kamala Harris, Amy Klobuchar, Beto O’Rourke et Cory Booker aussi. Mais pas Bernie Sanders, précise Politico. Ce n'est d'ailleurs que depuis 2016 que le parti demande officiellement l'abrogation de l'amendement Hyde sur sa plate-forme électorale. Depuis que les menaces contre le droit à l'avortement se font plus précises.
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Jeudi, le gouvernement Trump a d'ailleurs fait un pas de plus en faveur des anti-avortement: il a décidé de couper les fonds publics pour la recherche médicale sur les tissus prélevés sur des foetus avortés. Un contrat de deux millions de dollars par an avec l'Université de Californie à San Francisco est également parti en fumée. Les travaux servaient notamment à développer de nouveaux traitements contre le VIH. L'organisation March For Life s'est empressée de saluer la nouvelle mesure. «La plupart des Américains refusent que leurs impôts servent à créer un marché pour des prélèvements sur des bébés avortés qui sont ensuite implantés dans des souris et utilisés pour des expérimentations», relèvent ses responsables. Ils omettent de préciser que la recherche sur les tissus foetaux a permis des avancées scientifiques importantes, que ce soit pour les vaccins contre la poliomyélite, la rubéole et la rage ou à propos de la maladie d'Alzheimer.