Cette fois, c’est bien le scénario du pire qui se dessine. La progression fulgurante des talibans, qui s’emparent des capitales provinciales les unes après les autres et se rapprochent dangereusement de Kaboul, a poussé Joe Biden à ordonner l’envoi de 3000 militaires pour évacuer le personnel diplomatique. Le retrait américain, censé être effectif au 31 août 2021, l’était de fait déjà à presque 100%: ne restaient plus que 650 soldats chargés de la protection de l’ambassade américaine. Or voilà que le président américain doit faire marche arrière et agir dans l’urgence. En envoyant à nouveau des soldats dans le chaos afghan.

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«Un embarras majeur»

La chute de Saigon (Vietnam) de 1975, avec les images, marquantes, d’Américains évacués depuis le toit de l’ambassade par hélicoptère, est dans tous les esprits. Le mois dernier, Joe Biden assurait qu’un tel scénario ne se reproduirait plus. Il ne peut aujourd’hui plus se permettre de le dire aussi clairement. L’annonce de l’évacuation américaine a provoqué, vendredi, une réunion de crise à l’OTAN. Le secrétaire général Jens Stoltenberg a dû interrompre ses vacances pour rentrer à Bruxelles.

Près de 4000 personnes travaillent actuellement à l’ambassade des Etats-Unis à Kaboul, dont 1400 citoyens américains. Les négociateurs américains tentent d’obtenir l’assurance des talibans qu’ils n’attaqueront pas l’ambassade. L’évacuation des interprètes afghans, et celle d’autres Afghans qui ont aidé les forces américaines, avec leurs familles, devrait sensiblement s’accélérer, promet le Secrétariat d’Etat. Le Royaume-Uni évacue également en catastrophe ses diplomates et ressortissants, avec l’aide de 600 militaires. Berlin a annoncé faire de même. La Norvège et le Danemark ont, de leur côté, annoncé la fermeture provisoire de leurs ambassades respectives.

Aux Etats-Unis, Joe Biden doit non seulement faire face au scepticisme de pontes militaires, qui avertissent depuis des semaines des risques de guerre civile, il se fait surtout harponner par les républicains. Mitch McConnell, leader de la minorité républicaine au Sénat, parle d'«immense désastre, qui aurait pu être évité». «La stratégie du président Biden a transformé une situation imparfaite mais stable en un embarras majeur et une urgence mondiale en quelques semaines seulement», a-t-il tonné jeudi. «Le président Biden est en train de découvrir que le moyen le plus rapide de mettre fin à une guerre est de la perdre», ajoute-t-il, en parlant d’une «situation plus humiliante que la chute de Saigon». Vendredi, son alter ego de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, a accusé Biden de «livrer un pays entier aux terroristes». Donald Trump a également réagi de manière vive. Alors même qu'il a amorcé le retrait américain en signant un accord à Doha en février 2020. 

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Sous le coup de critiques, Joe Biden dit ne rien regretter. Les Américains ont consacré plus de 1000 milliards de dollars en vingt ans à soutenir l’armée afghane, une armée aujourd’hui en déliquescence totale. En plus des 3000 soldats dépêchés à Kaboul, près de 4000 autres seront positionnés au Koweït, prêts à intervenir. Mais Ned Price, porte-parole du Secrétariat d’Etat, insiste sur le fait qu’il «ne s’agit pas d’un réengagement militaire dans le conflit».

Ghani prêt à des concessions

Vendredi, après avoir fait tomber Kandahar et Hérat, les deuxième et troisième plus grandes villes du pays, les talibans se sont emparés de Lashkar Gah (sud), Chaghcharan (centre) et de Pul-e-Alam, à 50 kilomètres au sud de Kaboul. En huit jours seulement, ils sont parvenus à prendre le contrôle de près de la moitié des capitales provinciales afghanes et seules trois grandes villes – Kaboul, Jalalabad et Mazar-e-Charif – sont encore contrôlées par le gouvernement. Les pourparlers de Doha s’enlisent, malgré les concessions évoquées par le président afghan. Ashraf Ghani serait prêt à un partage du pouvoir pour mettre fin à la spirale de violences.

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«Ce qui se passe en Afghanistan est une tragédie pour les Afghans et une honte pour les Etats-Unis. Vingt ans [de présence américaine, ndlr] et rien qui reste», résume, sur Twitter, Vali Nasr, professeur en relations internationales et ex-conseiller de Richard Holbrooke, représentant spécial des Etats-Unis pour l’Afghanistan en 2009 et 2010. Déclenchée en mai, l’offensive talibane a pris de l’ampleur au fur et à mesure que les Américains concrétisaient leur retrait, vingt ans après les attentats du 11 septembre 2001.