Ligne de vie de l’Ouest américain, le fleuve Colorado se voit offrir un répit
Environnement
AbonnéLa Californie, l’Arizona et le Nevada acceptent de pomper moins d’eau dans le Colorado ces prochaines années. Mais cela ne règle pas le «déficit structurel» de ce fleuve essentiel

Le Colorado étend ses bras boueux et menace de déborder. Cette image aperçue à la mi-mai près de sa source dans les Rocheuses est trompeuse. Malgré les précipitations record de cette année, les Etats les plus en aval de ce fleuve dont dépendent 40 millions d’Américains devront réduire leur consommation d’eau. C’est le sens de l’accord annoncé lundi par l’administration Biden après des mois de tractations tendues.
A la suite de deux décennies de sécheresse, les niveaux des lacs de rétention Powell (entre l’Arizona et l’Utah) et Mead (entre le Nevada et l’Arizona) avaient atteint un niveau historiquement bas, au point de menacer les turbines des deux barrages. Les précipitations record de cette année vont faire remonter le niveau des deux réservoirs d’une dizaine de mètres d’ici à l’été. Mais, selon le Bureau fédéral de réclamation qui gère les eaux du Colorado que doivent se partager sept Etats américains, ils n’atteindront qu’un quart de leurs capacités malgré cette année exceptionnellement humide.
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L’agriculture en première ligne
Le répit n’étant que temporaire, la Californie, l’Arizona et le Nevada ont donc consenti à pomper dans le fleuve 3,7 milliards de mètres cubes en moins d’ici à la fin de 2026. Cela revient à économiser l’équivalent de la consommation d’eau de 3 millions de personnes par année, soit un peu moins que la population de la ville de Los Angeles. Mais les trois quarts de l’eau du Colorado servent à l’agriculture. Ces restrictions sont moins ambitieuses que celles que brandissait Washington et elles sont volontaires. En échange, le gouvernement fédéral a promis des fonds pour aider les trois Etats à s’adapter et dédommager les agriculteurs qui renonceront à une part d’or bleu.
La plupart des efforts reposent sur la Californie et l’Arizona, les deux principaux préleveurs des eaux du fleuve. Les Etats les plus en amont (Colorado, Utah et Wyoming) ne sont pas concernés par cet accord. Ils relèvent en effet du bassin supérieur, une entité juridiquement séparée, et consomment bien moins que la moitié des eaux qui leur reviendrait de droit. La répartition est fixée par le «Colorado River Compact», un traité datant de 1922. «Cet accord est basé sur une surestimation des capacités du fleuve, expose Sarah Porter, directrice du Kyl Center for Water Policy à l’Université de Phoenix en Arizona. Jusqu’à cette dernière décennie, cela ne posait pas de problème, car tous les droits n’étaient pas utilisés.»
Ne pas fâcher l’Arizona et le Nevada
Pour éviter un assèchement des lacs Powell et Mead, le gouvernement fédéral avait menacé d’imposer des coupes. Ce ne sera finalement pas le cas, au grand soulagement des trois Etats mais aussi de l’administration Biden. Tous les acteurs ont salué cet accord. «C’est une étape importante pour garantir la stabilité du Colorado menacé par les sécheresses et le changement climatique», s’est félicité le président américain, dans un communiqué. Joe Biden ne fâche personne, alors que le Nevada et l’Arizona sont des Etats clés qui avaient basculé d’un cheveu en sa faveur lors de la présidentielle de 2020. La Californie, elle, est traditionnellement acquise aux démocrates.
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Chacun des trois Etats devra décider comment il entend économiser l’eau du Colorado. Ce processus sera facilité par le fait que les autres réservoirs, en particulier en Californie, sont cette année pleins. La croissance démographique de l’Ouest américain n’est pas en cause. Ces dernières décennies, des villes comme Las Vegas (Nevada), non loin du lac Mead, synonyme de gaspillage dans l’imaginaire collectif, Phoenix (Arizona) ou San Diego (Californie) ont réduit leur consommation d’eau malgré l’augmentation de leur population.
«Il y a 2 ans, la baisse de niveau du lac Mead sous un seuil critique avait déclenché des mesures d’urgence mais la Californie et l’Arizona n’avaient pas atteint leurs objectifs de réduction de consommation d’eau», met toutefois en garde Sarah Porter. Malgré tout, elle se réjouit de l’accord de ce lundi: «Il permet de poursuivre la collaboration entre les différents Etats. Des coupes imposées auraient provoqué des actions en justice et compliqué les futures négociations pour trouver une solution à long terme. Car il faudra régler le problème fondamental du déficit structurel du fleuve Colorado: il y a plus de droits à l’accès à l’eau qu’il n’y a d’eau en réalité.» Les Etats riverains ont jusqu’en 2026 pour y parvenir, tout en incluant aussi le Mexique, où le reste du fleuve se jette dans le golfe de Californie.