L'investiture de Donald Trump illustre l'imprévisibilité du monde
Etats-Unis
Le 45e président des Etats-Unis est investi ce vendredi. Les diplomates et experts ne cachent pas leur inquiétude quant à l’incertitude que Donald Trump va injecter dans le système international

L’investiture de Donald Trump aujourd’hui à Washington est un événement dont on aurait tort de minimiser les conséquences. Ses outrages, son style et sa manière de communiquer par Twitter continuent de choquer. Les conflits d’intérêts potentiels dus au fait qu’il a refusé de placer sa société, la Trump Organization dans un blind trust (une fiducie sans droit de regard), contrairement à tous ses prédécesseurs, laissent croire certains qu’il ne finira même pas son premier mandat. Mais le 45e président des Etats-Unis suscite une autre inquiétude, mondiale celle-ci: il pourrait déstabiliser en profondeur l’ordre international. Dans les chancelleries européennes et en Chine, on ne cache pas sa préoccupation de voir Donald Trump s’installer à la Maison-Blanche.
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Imprévisibilité et manque de cohérence
Andrew Weber était le principal conseiller des secrétaires à la Défense américains Robert Gates, Leon Panetta et Chuck Hagel en matière d’armes de destruction massive jusqu’en 2015. Il fait partie des experts qui considèrent l’imprévisibilité de Donald Trump comme une source majeure d’inquiétude. Il le confie au Temps: «Je crains que les adversaires de l’Amérique, que ce soient la Chine, la Russie ou la Corée du Nord, interprètent le chaos qu’il pourrait créer comme une opportunité de s’en prendre aux intérêts américains. Ils pourraient chercher à tester les Etats-Unis. En remettant par exemple en question nos alliances traditionnelles, il affaiblira notre position face à la Russie.» Au Forum économique de Davos, on a beaucoup parlé de l’effet Trump. Un diplomate européen le souligne: l’arrivée du nouveau président au Bureau ovale est «un saut incroyable dans l’inconnu en raison de son style et du fait qu’il a nommé des gens sans expérience gouvernementale». Un autre diplomate rencontré dans les coulisses du Forum relève que le 45e président des Etats-Unis n’est «ni politicien, ni diplomate. C’est un homme d’affaires. Si la voie qu’il emprunte n’est pas probante, il n’hésite pas à opérer un revirement rapide et sans scrupule. En Europe, les diplomates suivent une logique différente. Ils cherchent davantage une continuité et une cohérence.»
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Relations avec la Russie en question
La Russie est l’une des grandes hypothèques de la diplomatie Trump. A Washington mercredi, le sénateur John McCain juge pour l’heure sévèrement la nomination du secrétaire d’État Rex Tillerson: «J’ai de profonds doutes au sujet de quelqu’un qui a reçu une médaille de l’amitié de Vladimir Poutine, un boucher.» Auditionné pendant neuf heures par la commission sénatoriale des Affaires étrangères, l’ex-patron d’Exxon Mobil, qui devra encore être confirmé par le Sénat, a rassuré une partie de l’establishment sur certains points. Contredisant son futur patron, il a promis que l’Amérique n’allait pas jouer avec les questions nucléaires, ni prôner l’isolationnisme ou le retrait du Partenariat transpacifique, un traité de libre-échange avec onze pays de la région Asie-Pacifique. Mais Rex Tillerson a refusé de s’exprimer sur une possible levée des sanctions contre la Russie en lien à l’annexion de la Crimée. Président de la Brookings Institution à Washington, Strobe Talbott met en garde: si l’administration Trump lève lesdites sanctions sans contrepartie valable, il ferait de Poutine le seul vainqueur. Il mettrait les Etats baltes dans une situation impossible et trahirait la chancelière allemande Angela Merkel, «le leader européen le plus courageux».
Crise majeure avec la Chine?
S’il traduit sa rhétorique anti-chinoise en actes, le président Trump pourrait vite provoquer une crise majeure avec la Chine. Sa remise en question du principe de la Chine unique a déjà froissé Pékin qui insiste sur le fait que le sujet est «non négociable». Parmi les futurs interlocuteurs du nouveau président, les plus inquiets sont sans doute les Mexicains. Si Donald Trump déclare une guerre commerciale au voisin du sud et décide de jeter aux orties l’accord de libre-échange de l’Alena, l’économie mexicaine pourrait en subir les effets de plein fouet.
Andrew Weber relève toutefois: «Tout dépendra des personnes qu’il nommera aux échelons inférieurs, celles qui ont des contacts directs, jour après jour, avec les diplomates étrangers.» Et l’ex-haut responsable du Pentagone de conclure: «Jusqu’ici, il a pu dire ce qu’il voulait par ses tweets. Depuis aujourd’hui, ses déclarations sur le réseau social auront un tout autre impact.»