A Miami, la tranquillité troublée du «Petit Moscou»
états-Unis
AbonnéUn raid du FBI et plusieurs arrestations inquiètent la communauté russe de Miami. Au pied des tours Trump, les russophones sont nombreux, mais les soutiens à Vladimir Poutine sont invisibles. Reportage

Au pied des immenses tours Trump, personne n’a vu les agents du FBI faire irruption dans l’un des luxueux appartements dominant l’océan. Mais à Sunny Isles Beach, localité au nord de Miami, qui abrite une importante communauté russe au point d’être surnommée le «Petit Moscou», la nouvelle de cette descente de police s’est répandue comme une traînée de poudre.
Jeudi dernier, plusieurs agents du FBI ont perquisitionné un appartement dans l’une des trois tours Trump de 45 étages. Mardi, le Ministère de la justice confirmait l’arrestation en Arizona d’un homme d’affaires russe, domicilié ainsi que sa société au 15 811 avenue Collins, une route à six voies longeant le mince littoral hérissé de tours. Un autre ressortissant russe, également résident au nord de Miami, a été appréhendé avec lui en Arizona.
A Sunny Isles Beach, littéralement la plage des îles ensoleillées, les deux ressortissants russes étaient comme chez eux. Dans le centre commercial en plein air face à trois autres tours portant quelques étages plus haut le label Trump, la plupart des conversations se font soit en russe, soit en espagnol. De nombreux salons de beauté affichent des inscriptions en cyrillique.
Selon les autorités fédérales, les deux Russes ont été arrêtés pour avoir acheminé des pièces destinées aux compagnies aériennes russes soumises à des sanctions américaines depuis le début de l’invasion de l’Ukraine. Des affaires à haut risque mais très lucratives. Le Ministère de la justice les accuse d’avoir «menti» à leurs contacts sur la destination finale du matériel et d’avoir mis en place un système de sociétés écrans pour dissimuler leurs clients réels. Ils risquent jusqu’à 20 ans de prison. Lors de cette opération, d’autres suspects ont été arrêtés aux Etats-Unis, accusés de contrebande de technologie sensible en lien avec la Chine et l’Iran.
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«Si je soutenais cette guerre…»
«Si je soutenais cette guerre, je ne serais pas là», se défend Daniel, un coiffeur qui a quitté la Russie en 2012, après la réélection de Vladimir Poutine. «Il est devenu évident que ce type ferait ce qu’il voulait. Je ne connais plus personne là-bas. Tous mes amis et ma famille sont partis», lâche-t-il, fataliste. Comme tous les Russes rencontrés, il assure n’avoir aucun problème avec les Ukrainiens qui, selon lui, viennent volontiers dans le salon. Ceux-ci ne sont pas du même avis. «Je ne parle pas aux Russes», coupe un homme attablé dans le café voisin, short et t-shirt bleus et chaussures jaunes aux couleurs de l’Ukraine, qu’il a quittée «pour quelques mois».
A l’épicerie Kalinka, du nom d’une chanson populaire russe, on trouve les mêmes produits qu’à Moscou et Saint-Pétersbourg. Dans l’enseigne d’à côté, Matriochka (la poupée russe), un buffet propose des salades russes ou des beignets au chou et d’autres plats d’Europe de l’Est. Tina, la caissière, s’est installée un peu plus au nord de Sunny Isles Beach il y a dix ans. «Il n’y a pas que des Russes ici mais aussi des Ukrainiens, insiste-t-elle. On ne fait pas la différence.»
Selon le dernier recensement, cette ville de 23 000 habitants comptait un peu plus de 1000 ressortissants russes. Les Ukrainiens sont à peine moins nombreux, même si, comme ailleurs à Miami, les Latino-Américains sont la communauté étrangère la plus représentée. A partir des années 2000, l’arrivée de résidents fortunés attirés par la douceur du climat météorologique et fiscal a contribué à faire pousser les gratte-ciel. Depuis que ses habitants ont voté pour se séparer de la municipalité de Miami, la localité a les coudées franches pour construire.
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«Opulence, confort et commodité»
Cette station balnéaire, alors surnommée aussi «la Petite Venise» pour ses nombreux canaux, avait été créée en 1920 quand un marchand de meubles new-yorkais y avait acheté un vaste terrain de 6 kilomètres carrés pour 60 000 dollars. Aujourd’hui, dans les tours Trump, les appartements de 150 mètres carrés sont à vendre pour plus d’un million de dollars, trois fois plus pour les plus grands. «Un mélange d’opulence, de confort et de commodité», vante le site de la Trump Organization, gérée depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis en 2016 par ses deux fils. Donald Trump n’est pas propriétaire des lieux, mais touche des royalties sur l’utilisation de son nom. Une marque visiblement toujours autant prisée par les Russes, mais aussi par les Ukrainiens.
Interrogée sur l’ancien président américain, Tatiana, allongée sur une chaise longue à l’ombre des tours, un œil sur son portable et l’autre sur sa petite-fille qui joue dans le sable, hausse les épaules, en signe d’indifférence. Native de Biélorussie, elle a quitté son pays à l’époque de l’URSS. Cette citoyenne américaine établie entre Chicago et Miami pense que le régime de Vladimir Poutine est devenu pire encore, mais blâme aussi les Etats-Unis qui «mènent une guerre contre la Russie sur le territoire de l’Ukraine». Elle reprend ainsi un argument de Donald Trump, de nouveau en campagne. Lequel veut mettre fin à cette guerre catastrophique pour tout le monde, sans désigner clairement un agresseur et en se vantant de pouvoir régler le conflit «en 24 heures».
Les Russes de «la Petite Moscou» se savent davantage sous surveillance depuis le début de l’invasion de l’Ukraine. La municipalité n’a pas souhaité répondre à nos questions, mais elle tente de décoller cette étiquette de havre de paix pour les Russes, une image devenue encombrante. Le 24 février dernier, elle organisait une commémoration pour la première année de l’invasion russe avec ses résidents ukrainiens.
Quant à Donald Trump, son nom se retrouve de nouveau associé avec la Russie par le FBI. Par une étrange coïncidence, les policiers faisaient irruption dans la troisième tour Trump la veille de la publication d’un rapport très critique d’un procureur spécial, John Durham, contre la police fédérale qui avait enquêté sur une possible collusion de Donald Trump avec la Russie pour influencer l’élection de 2016.
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L’ancien président a été exonéré des soupçons, même s’il s’était ouvertement félicité des cyberattaques russes contre la campagne d’Hillary Clinton et avait fait la promotion des informations publiées contre sa rivale. Mais selon ce rapport, le FBI a commis de nombreuses erreurs dans son enquête. En revanche, il n’y a pas eu de complot visant à saper la présidence du magnat de l’immobilier. La Trump Organization n’a pas non plus répondu à nos questions sur ce raid du FBI venu troubler la quiétude des riches résidents de Sunny Isles Beach et empoisonner davantage les relations du candidat Trump avec les autorités fédérales.