Ces modèles suisses qui prédisent la victoire de Trump
États-Unis
A cinq semaines de l’élection, et alors que le premier débat entre les candidats se déroule mardi soir, la plupart des sondages confèrent l’avantage à Joe Biden, par opposition à plusieurs recherches universitaires helvétiques

Et si le scénario de 2016 venait à se répéter? Et si, malgré les 200 000 victimes du coronavirus que compte le pays, les troubles sociaux et le ralentissement de l’économie, Donald Trump remportait un second mandat? Certes, les sondages sur le plan national confèrent à Joe Biden une avance de 7 à 8 points. Certes, des modèles de référence plus complexes prédisent la victoire du candidat démocrate. Le statisticien Nate Silver, fondateur du site FiveThirtyEight, lui donne près de 78% de chances de remporter la course. Le magazine britannique The Economist, qui tient également compte des données démographiques et des indices économiques, lui prédit 85% de chances de remporter le vote du collège électoral, et 97% pour le vote populaire. Et pourtant, le précédent de 2016 incite à la prudence.
C’est ce que pense John Antonakis. Le professeur de comportement organisationnel à la Faculté des hautes études commerciales de l’Université de Lausanne tient à présenter son modèle «avec humilité, car le brouillard du coronavirus complique toute prédiction». Mais il fournit une vision complémentaire aux sondages d’opinion, «ce bruit de fond de l’avenir» qui a «pour principale difficulté de trouver un échantillon représentatif, répondant honnêtement et qui ira réellement voter». Le modèle, mis au point avec son collègue Philippe Jacquart et l’EM Lyon Business School, s’appuie sur celui développé par le professeur Ray Fair de l’Université Yale. Aux variables initiales – le fait d’être le candidat sortant et l’état de l’économie – les chercheurs lausannois ont ajouté le charisme des deux prétendants. Et le résultat de leurs calculs octroie un avantage fort à Donald Trump pour remporter le collège électoral, soit les grands électeurs dont le vote est plus important que le suffrage populaire dans ce scrutin indirect.
L’inconnue économique
Le premier critère est simple: l’occupant du Bureau ovale détient un avantage naturel après un mandat, mais son parti est handicapé s’il est au pouvoir depuis deux législatures. Le deuxième paramètre, la situation économique, est plus nuancé. Selon l’OCDE, après une contraction du produit intérieur brut (PIB) de 4% au premier trimestre et de 40% au deuxième, le PIB pourrait croître de 20% entre juillet et septembre. «Le troisième trimestre joue un rôle déterminant, explique John Antonakis. C’est celui-ci que les Américains auront en mémoire lorsqu’ils voteront le 3 novembre. L’économie repartira-t-elle? Les marchés monteront-ils, entraînant les fonds de pension dans leur sillage? Ce sera une information cruciale dans l’esprit des électeurs.» Le professeur le reconnaît: sur une base annuelle, et même avec une telle reprise de la croissance au troisième trimestre, cela représenterait tout de même une contraction de 10% du PIB. De quoi pousser de nombreuses victimes de la crise à remercier le locataire de la Maison-Blanche.
Ces deux premiers critères du modèle de l’Université Yale, une fois pondérés, pointent vers une courte victoire de Joe Biden. Mais John Antonakis ne s’en satisfait pas. «Ce modèle part du principe que les deux formations ont choisi le candidat optimal, observe le professeur, ce qui implique que le charisme ne jouerait ici aucun rôle.» Dans une élection où les bases de chaque parti sont galvanisées et «où toute la question tient à savoir vers qui iront les 10 à 15% d’électeurs indécis, la capacité d’un dirigeant à se baser sur des valeurs pour envoyer des signaux symboliques – en racontant sa vision à travers une histoire – et émotionnels – en montrant sa colère ou son espoir – est déterminante».
«Charismomètre»
Pour mesurer le charisme des candidats, les chercheurs ont décortiqué leurs discours d’investiture lors des conventions, soit les deux interventions suivies par le plus grand nombre de téléspectateurs à ce stade de la campagne. «On peut ne pas trouver Donald Trump charismatique parce qu’on ne partage pas ses valeurs, relève John Antonakis, mais le fait est que son discours était plutôt réussi et qu’il a su refléter les aspirations de la droite religieuse et pro-armes.»
Au fil des 484 phrases de son allocution, le républicain a employé 269 éléments de «rhétorique charismatique», contre seulement 155 pour son adversaire démocrate, qui n’a prononcé que 298 phrases. Le président obtient ainsi un score relatif de charisme de 56%, contre 52% pour Joe Biden. La quantification établie par les chercheurs est corrélée à 0.92 avec les scores issus de l’intelligence artificielle (1.00 représentant ici une corrélation parfaite). Leurs algorithmes, surnommés le «charismomètre» et développés en partenariat avec l’institut de recherche IDIAP affilié à l’EPFL, repèrent automatiquement les éléments charismatiques d’un discours.
Une telle approche quantitative a débouché sur une prédiction similaire dans une étude de l’Université́ de Neuchâtel et de l’IFAA (Institut pour la recherche appliquée en argumentation) à̀ Berne. Ces experts, qui avaient déjà prédit la victoire de l’entrepreneur new-yorkais en 2016 face à Hillary Clinton, s’intéressent à un critère simple: la présence des deux candidats sur le web. Alors que Donald Trump tweete jusqu’à 37 fois par jour en articulant des émotions négatives, Joe Biden se contente de 14 messages quotidiens pour en appeler à des valeurs morales. Et l’intérêt des internautes pour le premier est cinq fois plus important que pour le second. «La visibilité́ sur internet ainsi que l’implication active sont cruciales si l’on veut gagner une élection aux Etats-Unis», conclut dans le communiqué Christoph Glauser, politologue à l’IFAA.
Les «13 clés» de la Maison-Blanche
Pourtant, les modèles lausannois et neuchâtelois ont un contradicteur de taille nommé Allan Lichtman. Comme lors de chaque élection présidentielle depuis plus de trente-cinq ans, tous les regards se tournent vers lui, et il a livré son pronostic: selon son modèle, Donald Trump perdra. Professeur d’histoire à l’American University de Washington, il a développé en 1981, avec Volodia Keilis-Borok, un mathématicien russe spécialisé dans la prévision des tremblements de terre, un système en «13 clés pour la Maison-Blanche» qui lui a permis jusqu’ici de ne jamais se tromper. Ou presque. En 2000, il avait prédit la victoire du démocrate Al Gore, ce qui était effectivement juste au niveau du vote populaire. Mais Al Gore a perdu la présidence au profit de George W. Bush, quand la Cour suprême a arrêté le recomptage des voix en Floride.
Pour établir son système de 13 clés, Allan Lichtman s’est plongé dans les présidentielles américaines de 1860 à 1980. Ces clés, par lesquelles il est uniquement possible de répondre par «vrai» ou «faux», tiennent comptent de facteurs tels que le charisme des candidats, la situation économique, d’éventuels scandales visant le président sortant ou encore l’existence de troubles sociaux dans le pays. Si le parti au pouvoir ne récolte pas plus de six clés positives, un changement devrait s’opérer à la Maison-Blanche. Pour 2020, Donald Trump n’emporte que 6 clés sur 13, détaille-t-il dans une vidéo du New York Times.
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A Lausanne, face à un tel contradicteur, John Antonakis répète son souhait de demeurer «humble». «Je n’aurai confiance dans mon modèle qu’à 90 ans, lorsque j’aurai pu y intégrer le résultat de dix élections supplémentaires», rigole ce trinational suisso-gréco-sud-africain. L’impact de la pandémie ou la possible distribution d’un vaccin avant l’élection pourraient jouer un rôle important. Sa principale incertitude, il l’admet, tient aux estimations économiques. «Si la croissance du PIB est de moins de 20% au troisième trimestre, les chances du président sortant diminueront. Mais à ce stade, si on me donne 100 francs et qu’on me demande de parier sur l’élection, mon choix se portera sur Donald Trump. Et, pour être honnête, j’espère que je me trompe.»
Collaboration: Valérie de Graffenried