Le parcours tortueux du dernier otage de la guérilla colombienne
Amérique du Sud
La libération d’Odin Sanchez ouvre la voie à des négociations de paix entre le gouvernement de Bogota et l’Armée de libération nationale (ELN). Elle relance dans le même temps un politicien lourdement condamné pour ses liens avec des paramilitaires

C’était le dernier otage encore aux mains d’une guérilla en Colombie. L’ex-député Odin Sanchez a été libéré jeudi par l’Armée de libération nationale (ELN), après dix mois de détention dans la jungle du Choco, au nord-ouest du pays, près de la frontière du Panama. L’événement, plusieurs fois reporté, était très attendu, puisqu’il constituait l’ultime condition posée par le gouvernement de Bogota pour entamer des négociations de paix avec la rébellion guévariste. La phase officielle des pourparlers va donc pouvoir débuter rapidement désormais, en principe ce mardi 7 février. Et pourtant, l’heure n’est pas à l’optimisme.
La captivité d’Odin Sanchez a débuté de manière peu conventionnelle. Il n’a pas été enlevé comme tous les otages de tous les groupes armés. Il s’est livré lui-même à l’ELN pour obtenir la libération de son frère Patrocinio tombé gravement malade aux mains de la guérilla, après avoir passé, selon ses dires, «plus de deux ans les pieds et les mains enchaînés, dans un abri hermétique et totalement obscur». Le geste a été courageux. Il n’en a pas moins été diversement apprécié en Colombie, certains y voyant une opération de «blanchiment d’image».
Un paradis pour les groupes criminels
La région des deux frères Sanchez, le département du Choco, représente un paradis pour les groupes criminels. Couverte de jungle, équipée d’une seule route digne de ce nom, elle est difficilement pénétrable et, de fait, abrite davantage de groupes armés irréguliers que de troupes gouvernementales. Elle abrite parallèlement deux ressources naturelles très lucratives, des champs de coca dans sa partie sud, le long du rio San Juan, et des mines d’or, dans ses espaces les plus densément boisés. Elle possède enfin deux façades maritimes, l’une sur le Pacifique, l’autre sur l’Atlantique, qui facilitent les trafics en direction des Amériques et, au-delà, vers le vaste monde.
De fait, tout ce qui s’oppose à l’Etat semble s’être donné rendez-vous dans les parages. Outre l’ELN, on y trouve la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), engagée actuellement dans une vaste opération de regroupement à fin de démobilisation, suite à un accord de paix signé l’an dernier avec Bogota. Et on y rencontre des Bacrim, ces «bandes criminelles émergentes» qui ont proliféré depuis la dissolution des Autodéfenses unies de Colombie (AUC), le principal groupe paramilitaire colombien, en 2006. Des organisations qui profitent à plein de l’explosion de la consommation de cocaïne en Amérique du Sud, en général, et au Brésil, en particulier.
Puissante famille de politiciens
Dans cet environnement brutal, les Sanchez Montes de Oca se sont imposés au cours des années 1990 comme une puissante famille de politiciens. Odin a été le premier à décrocher un mandat public en entrant dans l’exécutif de Quibdo, la capitale du Choco, puis en siégeant au parlement colombien de 1998 à 2002 et de 2006 à 2010. Il a été alors rattrapé par de graves accusations de liens avec les paramilitaires du Bloc Elmer Cardenas, une composante des Autodéfenses unies de Colombie, qu’il aurait soutenu de plusieurs façons contre divers «retours d’ascenseur». Le député a toujours nié une telle complicité mais il n’a pas convaincu la Cour suprême qui l’a condamné en 2011 à neuf ans de prison, ainsi qu’au paiement de 5885 millions de pesos (2 millions de francs) à «ses victimes».
Patrocinio a suivi les traces de son frère. Comme lui, il a eu des responsabilités politiques: en tant que maire de Quibdo entre 2001 et 2003, puis comme gouverneur du Choco de 2006 à 2010. Comme lui, il a été poursuivi par la justice, qui l’a condamné pour détournement de fonds publics. Il en faut plus cependant pour décourager la famille Sanchez. Le clan a tenté de garder son siège au Sénat, en remplaçant Odin par sa sœur Astrid, une manœuvre qui a échoué au milieu d’accusations de fraudes électorales.
Retour aux affaires
Odin Sanchez est aujourd’hui de retour aux affaires. En forme apparemment. Des neuf années de prison auxquelles il a été condamné, il n’a purgé que quelques mois. Quant à la somme qu’il était censé verser à ses victimes, il n’en a pas déboursé le moindre sou. Et si beaucoup le condamnent pour ses accointances, en reprochant à son action politique d’avoir coïncidé avec un appauvrissement du Choco, d’autres lui sont reconnaissants des coups de main qu’il a donnés dans le même temps et le considèrent comme un bienfaiteur. Alors que l’insécurité continue à régner dans la région, le politicien espère bien que l’aide apportée à son frère et la détention endurée aux mains de l’ELN lui vaudront un regain de popularité.