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«Ce qu’a fait Donald Trump est pire que ce qui a été reproché à Richard Nixon»

Chris Edelson est professeur de sciences politiques à l’American University de Washington DC. Il commente la procédure d’impeachment qui vise Donald Trump alors que les premières auditions publiques démarrent ce mercredi

Richard Nixon, le 29 avril 1974. — © DR
Richard Nixon, le 29 avril 1974. — © DR

Le Temps: En 1973, l’audition publique de John Dean, conseiller juridique de Richard Nixon, dans le cadre du scandale du Watergate, a constitué un tournant. Doit-on cette fois-ci également s’attendre à des révélations ou moments forts?

Chris Edelson: Je pense qu’il est difficile de comparer la situation actuelle à 1973, notamment parce que les partis politiques américains sont si différents. Je décrirais le Parti républicain d’aujourd’hui comme un parti autoritaire, un parti qui n’est pas attaché à la démocratie libérale, et qui construit un culte autour de Trump. Le chef ne peut être contesté au sein du parti. C’est différent de 1973. De plus, l’environnement médiatique a changé – Nixon n’avait pas Fox News, Rush Limbaugh, Laura Ingraham, Breitbart, les médias sociaux. Ce qu’a fait Donald Trump est pire que ce qui était reproché à Richard Nixon, mais en raison du profil actuel du parti républicain et de la caisse de résonance que lui offrent des médias de droite, plus proches d’ailleurs de médias d’Etat que d’entités journalistiques engagées pour la liberté de la presse, je ne m’attends pas à des moments forts ou à un tournant. Les républicains du Congrès vont soutenir Trump jusqu’au bout. Il n’y a à ce stade aucune preuve qu’ils pourraient changer d’avis. Nixon et Trump cherchaient tous deux à influencer le résultat d’une élection, Nixon avec des plombiers et des dirty tricks [«sales coups»] visant à assommer ou à discréditer ses adversaires, le plus infâme étant le cambriolage du Comité national démocratique au Watergate. Mais Trump cherche surtout de l’aide de puissances étrangères. A mon avis, c’est plus grave.

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Les auditions publiques risquent malgré tout de faire parler d’elles. Les Américains sont friands de ce genre de politique spectacle. Pourquoi?

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C’est bien sûr difficile à généraliser, mais votre question me fait penser au livre de Neil Postman Amusing Ourselves to Death. Postman soutenait (le livre a été écrit au milieu des années 1980) que la télévision transformait tout, y compris la politique, en divertissement, et que c’était quelque chose de dangereux. A son avis, cela affaiblissait la possibilité de mener des débats sérieux et réduisait la politique à des bruits ou des publicités. Les médias sociaux et internet de manière plus générale ont, à mon avis, continué à prouver son point de vue. Cependant, dans une culture où la politique tend à devenir du divertissement, le public, en l’occurrence américain, peut aussi se lasser du spectacle. Après plusieurs années, c’est probablement ce qui est en train de se passer avec Donald Trump. Il y a des preuves – les sondages, les élections de mi-mandat en 2018, ou encore celles de la semaine dernière en Virginie, Pennsylvanie et Kentucky – que les gens en ont assez de Trump.

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A ce stade, une destitution du président paraît improbable, car il faudrait que 20 sénateurs lui tournent le dos. Que peuvent donc apporter ces auditions? Les jeux ne sont-ils pas déjà faits?

Il est en effet difficile d’imaginer plus d’une poignée de sénateurs républicains voter en faveur de sa destitution. Cependant, je pense qu’une telle procédure est nécessaire. Les démocrates n’ont pas le choix. Il y a des preuves que Trump a tenté d’extorquer l’Ukraine pour l’aider dans sa campagne de réélection. C’est un délit, qu’il soit de nature pénale ou non, qui touche au cœur de la démocratie libérale. Trump porte un coup à la notion d’élections libres et équitables, et ce n’est pas la première fois: souvenez-vous de 2016, ou encore, en plus de l’affaire ukrainienne, de son appel public à la Chine cette année [Donald Trump avait aussi appelé Pékin à ouvrir une enquête sur les activités de Hunter Biden le 3 octobre dernier]. Si Trump reste en fonction, le danger est qu’il estime qu’il est libre de continuer à agir ainsi, en toute impunité. Il est donc nécessaire d'«impeacher» ce genre de président. C’est un président qui ne croit pas à la démocratie libérale, à l’Etat de droit, aux élections libres et équitables. Même si une destitution paraît peu plausible, cela ne peut pas être ignoré.

Même si la procédure risque de mourir au Sénat, les démocrates ont-ils quand même un moyen d’en tirer profit?

Je ne vois pas les choses d’un point de vue partisan. Je le répète: il s’agit d’une question qui touche au cœur de notre démocratie. La question, pour moi, est de savoir si notre système peut survivre à cela. A mon avis, notre système constitutionnel a déjà échoué. Dans un système qui fonctionne, les républicains auraient déjà rejoint les démocrates pour exiger la destitution de Donald Trump. Tous les espoirs ne sont pas perdus pour la démocratie américaine; il y a encore des élections en 2020, après tout. Mais le fait est que Trump nous a montré qu’il est déterminé à obtenir tous les avantages, qu’ils soient justes, légaux ou autres. C’est un moment très dangereux, une crise existentielle pour la démocratie constitutionnelle américaine.

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