«Je n’arrive pas à respirer.» Cette phrase, George Floyd, mort asphyxié le 25 mai sous le genou d’un policier blanc, l’a répétée 20 fois avant son dernier souffle. C’est ce que révèle la transcription précise des images des caméras corporelles de la police de Minneapolis. Pendant ces 8 minutes et 46 secondes, il a imploré sa mère décédée, mais a également mentionné ses enfants. A plusieurs reprises, apeuré, George Floyd, accusé d’avoir utilisé un faux billet de 20 dollars, a supplié les policiers de ne pas tirer.

Le drame a déclenché des réactions sans précédent. «Black Lives Matter» (la vie des Noirs compte) est désormais également peint en grandes lettres jaunes sur la 5e Avenue de New York, juste devant la Trump Tower. Mercredi, la famille de la victime a décidé de porter plainte au civil contre la municipalité de Minneapolis et les quatre policiers impliqués dans le drame. Roger Floyd, l’oncle paternel de la victime, évoque la douleur d’une famille meurtrie. Et ses espoirs de voir l’Amérique enfin combattre les brutalités policières.

La mort de votre neveu a provoqué une onde de choc inouïe, avec des manifestations dépassant le cadre des Etats-Unis. George Floyd est devenu une icône de la lutte contre les brutalités policières. Comment parvenez-vous à absorber toutes ces émotions?

Roger Floyd: Ce drame est si douloureux. Nous sommes dévastés et toujours en processus de deuil. Mais l’ampleur et l’intensité de ces réactions nous font du bien. Cela nous donne de l’espoir. Nous accueillons ces élans de générosité et d’amour positivement. Ces manifestations sont le plus souvent restées pacifiques, malgré des scènes de chaos. Il faut qu’elles le restent. Tout le monde connaît mon neveu sous le nom de George Floyd, mais pour nous c’était George Perry Junior, le fils de mon frère, George Floyd Senior. Nous l’appelions Perry. J’étais là à sa naissance. C’était un homme bon, un gentil géant.

Pensez-vous que les Etats-Unis se trouvent à un tournant pour mettre fin aux violences policières à l’encontre des Noirs? De nombreux autres drames ont eu lieu sans que rien ne bouge…

Je l’espère. Ce n’est pas le moment de baisser le bras. Nous avons l’élan nécessaire pour agir, et je crois fermement que nous devons profiter de cette énergie pour exiger de réels changements. Mon neveu a été sacrifié pour amener ces changements. Le racisme systémique doit être combattu par des réformes profondes, des changements législatifs. Nous devons faire pression sur nos dirigeants, pour éviter que les drames ne se répètent. Le problème est que le Sénat à majorité républicaine bloque la plupart des projets. Dans ma communauté, on sait mieux que quiconque que «la vie des Noirs compte». Mais seuls les Blancs peuvent mettre fin au racisme. Nous devons travailler ensemble, nous unir. Des auteurs de brutalités policières s’en sortaient jusqu’à présent grâce à des failles juridiques ou en se cachant derrière le concept de l’autodéfense. Mais désormais des vidéos exposent de cruelles réalités à la vue de tous.

Je veux être sûr que le nom de mon neveu reste vivant. Nous voulons créer une fondation en sa mémoire, qui aidera notamment d’anciens détenus à se réinsérer dans la société

Roger Floyd

Avez-vous vous-même souffert de racisme?

J’ai expérimenté toute ma vie le racisme systémique. Je fais en sorte de ne pas être submergé par cela, mais dans les faits, les Noirs en font l’expérience au quotidien. Par exemple quand vous allez à la banque encaisser un chèque: on vous demande généralement toute une série de pièces d’identité pour vérifier que vous avez bien droit à cet argent. Ou si vous vous rendez chez un concessionnaire de voitures, vous avez beau être élégamment habillé, on vous demandera: «Vous voulez vraiment vous acheter une voiture?» Des exemples, j’en ai plein. Si vous vous tenez près d’une femme blanche dans un ascenseur, elle aura probablement pour réflexe de serrer son sac contre elle. Ces situations sont humiliantes. J’en discute beaucoup avec mon fils, qui est adulte. Je lui conseille de faire très attention quand il conduit la nuit, et de bien faire ce que les policiers lui demandent s’il se fait arrêter.

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Mais ne ressent-il pas de la colère à l’égard des forces de l’ordre après la mort de son cousin?

Si, bien sûr. C’est un millennial. Il a tendance à faire de la résistance, mais je lui dis que ce n’est vraiment pas le moment. Mais si j’avais été à Minneapolis le 25 mai le jour du drame, j’aurais probablement bondi sur le policier pour qu’il retire immédiatement le genou du cou de mon neveu. Et je me serais peut-être fait tuer. Je me serais sacrifié pour Perry (silence). Désolé, c’est si douloureux… Perry n’a opposé aucune résistance quand il a été arrêté. Il n’a opposé aucune résistance quand il a été menotté, ni quand il a été plaqué au sol, ventre à terre. Il a fait ce qu’on lui a dit de faire. Et vous avez vu, deux autres policiers le maintenaient aussi au sol. Ils étaient trois [Derek Chauvin est inculpé d’homicide volontaire, mais trois autres policiers en tout sont accusés de complicité]. Le moment le plus déchirant pour moi est quand il a appelé sa mère à l’aide. Ma belle-sœur, Sissy, est décédée le 30 mai 2018. Je pense que c’est le moment précis où il a compris qu’il allait mourir. Aux Etats-Unis, des Noirs innocents meurent tués par la police. A l’inverse, des policiers ont emmené le jeune Blanc qui a tué neuf paroissiens de Charleston en juin 2015 dans un Burger King, avant de l’accompagner en prison. Parce qu’il avait faim…

Allez-vous désormais faire de la lutte contre les violences policières votre combat?

Je vais rester visible. J’ai un message à transmettre. Je veux être sûr que le nom de mon neveu reste vivant. Nous nous remettons à peine de l’organisation des funérailles, mais nous voulons créer une fondation en sa mémoire, qui aidera notamment d’anciens détenus à se réinsérer dans la société. Ces dernières semaines ont été intenses, le processus du deuil va prendre du temps, mais nous allons nous y atteler bientôt. Nous devons profiter de ce momentum pour agir.

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Que vous a apporté votre rencontre avec le candidat démocrate à la Maison-Blanche, Joe Biden?

J’ai été très impressionné. Joe Biden et sa femme Jill ont rencontré une partie de la famille pendant une heure, dans un endroit privé. J’y étais. Je n’ai jamais vu une sécurité aussi importante! Bien sûr, il est en campagne et reste un politicien, mais je l’ai senti très sincère. Nous avons eu une discussion très franche. Il tenait à nous présenter ses condoléances, nous a exposé son programme, mais surtout, il était là pour nous écouter. Il a pris du temps pour nous. C’est un vrai gentleman. Il a aussi diffusé un joli message via vidéo pendant les funérailles.

Donald Trump vous a également présenté ses condoléances.

Oui, probablement par opportunisme politique, parce que Joe Biden l’avait fait. Mon neveu Philonise, le frère de Perry, a eu le président au téléphone. L’appel a duré à peine deux minutes. Mon neveu n’a pas pu parler. Le président a transmis ses condoléances sans vraiment se soucier si quelqu’un était à l’autre bout du téléphone. Puis, il a raccroché.

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