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Ron DeSantis, itinéraire d’une radicalisation

Le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, se lance dans la course à la présidentielle américaine de 2024. Il espère doubler par la droite Donald Trump, le grand favori à l’investiture républicaine

Ron DeSantis à une conférence à Miami, 9 mai 2023.  — © REBECCA BLACKWELL / AP
Ron DeSantis à une conférence à Miami, 9 mai 2023. — © REBECCA BLACKWELL / AP

«Faire mourir l’idéologie woke.» Après sa réélection triomphale à la tête de la Floride en novembre dernier, Ron DeSantis avait annoncé la couleur. Depuis, le gouverneur a tenu parole. La fiabilité et l’efficacité sont les marques de fabrique qu’il va tenter de vendre aux électeurs républicains. Car la révolution conservatrice s’est emballée dans le «Sunshine State», devenu un bastion républicain. Quel contraste avec l’ancien «Etat bascule» qui avait voté deux fois pour Barack Obama en 2008 et 2012, puis deux fois pour Donald Trump.

Ces dernières semaines, la majorité républicaine a voté pour interdire l’avortement après six semaines de grossesse, un délai extrêmement court durant lequel de nombreuses femmes ne savent même pas qu’elles sont enceintes, rejoignant les Etats les plus restrictifs. Elle a facilité le recours à la peine de mort ainsi que le port d’armes et restreint l’immigration en Floride, malgré le manque de travailleurs dans l’Etat. Ou encore interdit les traitements médicaux aux mineurs transgenres pour changer de sexe. Enfin, les députés de Floride ont permis à Ron DeSantis de viser la Maison-Blanche sans avoir à démissionner de son poste de gouverneur.

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Cette fuite en avant polarise davantage l’électorat mais le candidat n’en a cure. Qu’importent ses récents déboires, comme la résistance de Disney et son énorme parc d’attractions près d’Orlando que le gouverneur a voulu punir pour avoir critiqué une loi épurant les programmes scolaires ou le fait que la principale organisation de défense des Afro-Américains (la National Association for the Advancement of Colored People - NAACP) déconseille les voyages en Floride après l’interdiction d’enseigner l’histoire de l’esclavage. Car le candidat vise à séduire la base électorale de Donald Trump et le doubler sur sa droite pour remporter la primaire républicaine.

Contre les «élites»

Pour se lancer dans la bataille, le politicien de 44 ans a choisi Twitter où il conversait avec Elon Musk en fin de journée ce mercredi (minuit en Suisse). Le patron du réseau social veut en faire un acteur majeur de la campagne. Pour Ron DeSantis, c’était un pied de nez à son ancien mentor. Twitter était le canal favori du président Trump pour s’adresser directement aux Américains. Puis il en a été banni après l’attaque du Capitole, avant d’être invité à y revenir par son nouveau propriétaire, Elon Musk. Pour l’instant en vain. Mais ce double pari a été raté. Des centaines de milliers d'auditeurs s'étaient connectés mais beaucoup sont partis découragés par les problèmes techniques qui ont retardé l'événement.

Né à Jacksonville dans le nord de la Floride dans une famille d’origine italienne (un père représentant pour une entreprise de télévision et une mère infirmière), Ron DeSantis a redit qu'il n'aimait pas les médias traditionnels. Cet homme au contact peu facile les range dans le même sac que «les élites qui contrôlent les lobbies à Washington, les grandes entreprises, y compris celles de la tech et les universités», comme il l’écrit dans son livre manifeste Le Courage d’être libre. Tous seraient mus par une même idéologie «progressiste» synonyme à ses yeux de wokisme.

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Diplômé en droit des prestigieuses universités de Yale et Harvard, Ron DeSantis est pourtant lui aussi un produit de cette fabrique des élites américaines. «J’aurais pu gagner beaucoup d’argent dans le droit ou la finance», écrit-il dans sa biographie. Mais il choisit, après les attentats du 11-Septembre, de s’engager dans l’armée. Il servira comme juriste brièvement sur la base de Guantanamo et en Irak.

Le tournant de la pandémie

La suite est une carrière politique qui le mènera sur les bancs du Congrès, avant de se présenter au poste de gouverneur de Floride, avec la bénédiction du président Trump. En 2018, il l’emporte de peu. «Il s’est comporté en rassembleur, ce qui n’est pas habituel pour les politiciens américains, retrace Aida A. Hozic, maîtresse de conférences en sciences politiques à l’Université de Floride. Il a essayé de satisfaire même les circonscriptions qui avaient le plus de chances de voter contre lui. Il a tendu la main aux écologistes, aux enseignants ou aux fonctionnaires. Son discours était beaucoup plus conciliant que pendant la campagne, lorsqu’il avait construit un mur de jouets avec ses enfants» en référence à la frontière mexicaine que le président Trump voulait barricader.

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Le tournant a eu lieu quand «la chaîne conservatrice Fox News a pensé avoir trouvé le successeur de Donald Trump», pense la chercheuse. «La pandémie a joué un grand rôle dans cette radicalisation. Ron DeSantis y a vu une opportunité de se démarquer», pointe Alexander D. Barder, maître de conférences au département des relations internationales, à l’Université internationale de Floride à Miami. Pragmatique au début de la pandémie, «il est alors devenu antivaccin, il a poussé pour l’ouverture des écoles, il a pris position contre les masques, il a entamé une guerre publique contre les scientifiques et les médecins au sujet du covid, il a puni les lanceurs d’alerte…» énumère Aida A. Hozic. L’absence de confinements a aussi permis de faire affluer en Floride les vacanciers et les fortunes américaines, attirées par le climat et l’absence d’impôt sur le revenu.

Les attaques de Trump

Alexander D. Barder doute que l’on revoie le gouverneur pragmatique avant la fin de la primaire républicaine et un possible duel avec Joe Biden. Pour l’instant à la traîne dans les sondages – il accuse un retard de plusieurs dizaines de points –, Ron DeSantis espère profiter des déboires judiciaires de Donald Trump, même si pour l’instant elles ont joué en faveur de l’ancien président. Dans son fief de Mar-a-Lago, dans le sud de la Floride, le septuagénaire ne s’y trompe pas.

Ron «DeSanctimonious» – «Ron la morale» –, comme il le surnomme, concentre toutes ses attaques. «Il devrait se faire greffer une personnalité», a-t-il raillé mercredi sur son réseau Truth Social. Et de dénoncer les positions de son rival contre la sécurité sociale et son soutien à un relèvement de l’âge de la retraite, quand il siégeait au Congrès. La bataille qui s’engage promet d’être sanglante, encore longue et plus incertaine que ne le suggèrent les sondages actuels.