Il promène sa silhouette de corsaire sur les remparts de Saint-Malo. Son dernier livre, «Voyager» (Ed. Actes Sud), transporte le lecteur dans les quartiers populaires de la Jamaïque, dans l'Himalaya, dans les Andes... mais aussi dans ces banlieues populaires des Etats-Unis qui furent, si souvent, le cadre de ses romans.

A 77 ans, Russell Banks est l'un des invités vedettes de l'édition 2017 d'«Etonnants Voyageurs». Familier des lieux, il s'attarde dans la cour pavée de la mairie où Michel Le Bris, le fondateur de ce festival consacré à la littérature-monde - un nouveau manifeste vient d'être publié, signé par une soixantaine d'auteurs - vient de prononcer un nouvel hommage à l'écriture «qui, jour après jour, contre tous ceux qui veulent nous rapetisser, démontrent que nous sommes plus grands que nous». Pour Russell Banks, cette édition est toutefois très différente. Parce qu'à chaque pas ou presque, un nom revient dans les questions que lui posent lecteurs, journalistes ou curieux: l'avenir de Donald Trump.

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«Trump ne raisonne pas comme vous et moi»

Trump. L'écrivain américain rajuste son blouson de cuir noir comme s'il se préparait à charger de nouveau. Le magnat new-yorkais de l'immobilier, il le sait, a été élu par ceux que ses romans ont toujours défendu: les Américains de la classe ouvrière, les blessés de la mondialisation, les déboussolés des terroirs ravagés par la désindustrialisation. Alors? Comment concilier ce réalisme littéraire avec la réalité politique? Un festivalier de Saint-Malo s'est déjà interposé entre nous. Il interroge Russell Banks sur la décision du locataire de la Maison-Blanche de dénoncer l'Accord de Paris sur le climat.

Va-t-on assister à d'autres attaques anti-climat, anti-Europe? «Oui, car Trump ne raisonne pas comme vous et moi explique le romancier. Il parle comme un fournisseur à ses clients. Il ne comprend que la logique du profit à court terme». Quitte à remettre en cause un édifice diplomatique international patiemment construit? «Vous parlez d'un président qui, comme promoteur immobilier a fait des "deals" avec le crime organisé. Il n'a aucun respect pour la loi, et encore moins pour les traités internationaux. Pour Trump, tout est renégociable. Ce type a toujours eu derrière lui des armées d'avocats pour défendre l'indéfendable.»

Donald Trump, le «pari» des déshérités

Et les Américains? Que pensent les déshérités qui irriguent depuis des décennies ses romans et nouvelles, tous publiés chez Actes Sud, la maison d'édition dont la patronne, Françoise Nyssen, est aujourd'hui ministre de la Culture française? «Je le reconnais volontiers: ils continuent de voter pour lui malgré ses mensonges. C'est très pervers. Mes héros savent que Trump ment, mais ils ne veulent pas se déjuger si vite. Ils ont trop souffert pour encaisser un nouveau coup dur».

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Comment en sortir alors? «Pour l'heure, je ne vois pas d'issue politique poursuit-il. Tous ces Américains des classes populaires et moyennes qui ont donné leurs voix à Donald Trump ne peuvent pas supporter l'idée que, quelques mois après son élection, les médias et les observateurs qu'ils ne supportent plus viennent leur donner des leçons et leur dire: "On vous avait prévenu." On parle de familles broyées, d'ouvriers licenciés, d'agriculteurs paumés. Pour eux, Trump est un pari. Et personne n'a envie de dire "J'ai perdu mon pari" alors que la roue continue de tourner». 

«Le mal Trump est très profond»

Russell Banks passe de débat en débat. A Saint-Malo, il raconte l'Amérique sous tous ses angles. Puis, toujours, voilà que Trump revient au détour d'une phrase, d'une question, d'une interpellation. Va-t-il tenir jusqu'à la fin de son mandat? Peut-il trouver un terrain d'entente avec les gouvernements européens qu'il est en train de piétiner sur le climat? «Du côté du climat, Donald Trump n'est sensible qu'à un argument: celui de l'argent explique l'écrivain. Tant que les Européens demanderont aux Etats-Unis de payer, il s'opposera à tout».

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Et côté politique? «Je ne le vois pas terminer son mandat. Mais il ne tombera pas pour les questions sur sa proximité supposée avec la Russie. Je prédis des affaires beaucoup plus graves sur ses liens antérieurs avec la mafia. L'argent, toujours...». L'auteur se lance dans un nouveau récit de l'Amérique profonde. Il lisse sa barbe, parle du sénateur démocrate Bernie Sanders, dont il a soutenu la candidature face à Hillary Clinton. Sanders avait su capter la rébellion de la jeunesse. Aurait-il pu l'emporter contre Trump et ses «dégoutantes méthodes» comme il l'a un jour écrit: «Je ne le crois pas, répond-il. Le mal Trump est très profond en Amérique. Dans mon pays, l'ignorance et l'argent sont des moteurs politiques irrésistibles. Ceux qui votent pour lui savent qu'il est fou, voire dangereux. Mais ils s'en foutent...»