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San Francisco, un Janus américain

ÉDITORIAL. A San Francisco, la crise des SDF, aiguë, contraste avec la réussite affichée par la Silicon Valley. Elle menace le tourisme. Mais la ville semble être condamnée à vivre avec ces deux visages

San Francisco est une ville des extrêmes, qui exempte Twitter d’impôts afin qu’elle y maintienne son siège au centre, et, en même temps, supprime des toilettes publiques, victimes de coupes budgétaires. — © Lea Kloos/Le Temps
San Francisco est une ville des extrêmes, qui exempte Twitter d’impôts afin qu’elle y maintienne son siège au centre, et, en même temps, supprime des toilettes publiques, victimes de coupes budgétaires. — © Lea Kloos/Le Temps

Le Temps vous propose une opération très spéciale ces jours en racontant, depuis San Francisco, les innovations à venir dans les domaines scientifiques, technologiques ou culturels. Nos seize journalistes, vidéastes et photographes parcourent la ville, la Silicon Valley et la Californie pour découvrir les nouvelles tendances au cœur de ce laboratoire mondial de l’innovation.

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Des tentes et de l’or. Le parallèle est tentant. Pendant huit ans, entre 1848 et 1856, la Californie était en proie à une ruée vers l’or. Près de 300 000 forty-niners s’y sont installés, avides d’extraire des pépites. Très vite, la population de San Francisco, qui n’était alors qu’un petit hameau, s’est développée de façon vertigineuse. Aujourd’hui, San Francisco attire encore, et il y a toujours des tentes et des campements dans la ville. Mais ce sont ceux des sans-abri. Quant à l’or, il s’avère essentiellement technologique, et on le trouve au sud, dans la Silicon Valley.

Le contraste entre les patrons milliardaires et les laissés-pour-compte est saisissant. Deux mondes s’entrechoquent. En Californie, on a tendance à l’oublier, 19% des habitants se retrouvent au-dessous du seuil de pauvreté. Et près du quart de l’ensemble des SDF des Etats-Unis y vivent. Ils sont environ 7500 à peupler les rues de San Francisco, souvent toxicomanes ou psychiquement malades. Dans certains endroits, on se croirait davantage dans un pays sous-développé, avec des gens hagards, qui défèquent à la vue de tous. La ville a même dû mettre une Poop Patrol sur pied. Comprenez: une patrouille pour débarrasser les trottoirs d’excréments humains.

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Les regards se tournent bien sûr vers les entreprises tech, qui creusent les inégalités sociales et font exploser les prix de l’immobilier. A cause d’elles, les propriétaires abusent de l’Ellis Act, qui permet d’expulser les locataires pour adapter les loyers à la demande. Parfois, des travailleurs dorment dans leur voiture. Des manifestations dénoncent cette «techsploitation». Des activistes bloquent même des bus transportant des employés de Facebook, YouTube ou Google.

Mais le problème des sans-abri, bien qu’il ait tendance à empirer, existe depuis des décennies. Il est plus généralement le résultat d’une méritocratie américaine impitoyable où il n’existe pas, ou presque pas, de filet social pour ceux qui n’auraient pas suffisamment persévéré. Vous redescendez en bas de l’échelle? Tant pis pour vous.

C’est bien ce qui se passe à San Francisco. La ville est progressiste. Elle défie Donald Trump presque systématiquement, notamment sur le plan de l’immigration. Mais c’est aussi une ville des extrêmes, qui exempte Twitter d’impôts afin qu’elle y maintienne son siège au centre, et, en même temps, supprime des toilettes publiques, victimes de coupes budgétaires. Une ville où la mairie peine à ouvrir de nouveaux foyers d’urgence. Avec le risque de faire fuir les touristes. Une ville qui, en somme, donne l’impression de ne pas vouloir se donner les moyens de régler le problème, alors qu’elle dispose des ressources nécessaires. Un Janus du XXIe siècle.