Tammy Duckworth, la mère des batailles
Portrait
Grièvement blessée en Irak en 2004, amputée des deux jambes, la démocrate est la première sénatrice américaine à avoir donné naissance pendant son mandat. Elle se bat pour concilier plus facilement maternité et vie professionnelle, dans un pays où le congé maternité payé reste une exception

Certains rêvent de devenir un jour premiers de quelque chose, elle aimerait au contraire ne pas toujours figurer en haut du podium. Tammy Duckworth est la première sénatrice américaine à être devenue mère pendant son mandat. Elle est aussi la première élue femme à être une mutilée de guerre.
Elle a donné naissance à sa deuxième fille, Maile Pearl, le 9 avril dernier, à l’âge de 50 ans. Un prénom emprunté à la grand-tante de son mari, officier à l’armée et infirmière pendant la Deuxième Guerre mondiale. L’armée est très présente dans sa vie. Elle est la fille d’une immigrante thaïlandaise d’ascendance chinoise et d’un Marine qui a combattu pendant la Deuxième Guerre mondiale et la guerre du Vietnam. Avant de faire son entrée au Congrès en 2012, elle avait suivi les traces de son père et fait carrière au sein de l’armée, où elle a le grade de lieutenant-colonel.
Hélicoptère touché par un tir de roquette
Tammy Duckworth est devenue pilote d’hélicoptère, l’un des rares postes qui permettaient aux femmes de s’engager sur un champ de bataille. Elle voulait faire face aux mêmes risques qu’un homme. Pendant ses missions à l’étranger, elle était régulièrement la seule femme au sein d’unités d’hommes. Parfois en les dirigeant. Elle a souvent eu droit à des remarques du genre: «Quoi, c’est cette petite femme asiatique qui est responsable de nous?» raconte-t-elle dans l’édition américaine de Elle.
Le 12 novembre 2004, c’est le drame. L’hélicoptère Black Hawk qu’elle pilote au-dessus de Bagdad est touché par un tir de roquette. Elle est grièvement blessée, déchiquetée. Son copilote l’a crue morte. Tammy Duckworth perd ses deux jambes et l’usage d’une partie de son bras droit. Mais treize mois plus tard, là revoilà déjà, avec ses deux prothèses, qui réintègre l’armée.
En 2005, Tammy Duckworth décide de briguer un siège au Congrès, sans succès. Grande déception. Elle tourne la page et s’engage avec passion en faveur des vétérans qui reviennent traumatisés des champs de bataille. De 2006 à 2009, elle dirige le Bureau des vétérans de l’Illinois, puis Barack Obama, qui vient d’accéder à la présidence, l’engage pour un poste à responsabilité au sein du Département des anciens combattants. En juin 2011, elle démissionne et se lance dans une nouvelle course à la Chambre des représentants. Cette fois, elle est élue.
Congé maternité payé, l’exception
En novembre 2016, Tammy Duckworth entre au Sénat pour représenter l’Illinois, comme un certain Barack Obama avant elle. Son combat, aujourd’hui, elle le mène surtout pour que les femmes puissent allier maternité et vie professionnelle, et ne pas devoir faire un choix. D’ailleurs, elle vient de réussir à faire changer les règles archaïques du Sénat, avec l’aide de sa collègue de parti, la sénatrice Amy Klobuchar: désormais, les bébés y sont admis! «Si je dois voter alors que j’allaite mon bébé, tout particulièrement pendant mon congé maternité, faut-il que je le laisse dehors?» s’interrogeait-elle récemment dans un podcast de Politico.
La question appartient désormais au passé. La petite Maile Pearl a pu faire une entrée remarquée au Sénat. La dernière fois que la Chambre avait modifié son règlement interne remonte à 1977. C’était pour autoriser des chiens de thérapie pendant les sessions.
Je ne vais pas me laisser donner des leçons sur les besoins de nos militaires par un homme ayant échappé à cinq reprises à la conscription
Tammy Duckworth n’a jamais envisagé de renoncer à ses douze semaines de congé maternité payées. Mais elle espère ne manquer aucun vote crucial et se déplacera quand ce sera nécessaire. En 2014, après la naissance de sa première fille, son médecin lui avait recommandé de rester chez elle à Chicago, et le vote par procuration lui avait été refusé.
Aux Etats-Unis, les femmes ont droit à un congé maternité de douze semaines. Mais pour la très grande majorité, il est non payé, ce qui pousse les mères à retourner sur leur lieu de travail quelques jours après la naissance. Ou à arrêter de travailler. Tammy Duckworth sait qu’elle est privilégiée. C’est ce qui la motive d’autant plus à faire bouger les fronts, et à imposer des espaces pour allaiter dans les aéroports ou des garderies dans les campus universitaires. Dans toute l’histoire des Etats-Unis, seules neuf autres femmes siégeant au Congrès ont donné naissance pendant leur mandat, toutes des élues de la Chambre des représentants.
«La parentalité ne concerne pas que les femmes»
Ses deux filles ont été conçues par fécondation in vitro. Elle a raconté son parcours du combattant pour devenir mère dans les colonnes du Chicago Sun Times. Très transparente et ouverte, elle y mentionne notamment une fausse couche survenue en 2016, alors qu’elle était en pleine campagne pour le Sénat. C’est sur Twitter, en janvier, que la sénatrice a annoncé qu’elle attendait un heureux événement. Rebelote le 9 avril, pour la naissance de Maile Pearl.
«La parentalité ne concerne pas que les femmes, c’est un sujet économique qui touche tous les parents, hommes et femmes. Aussi difficile qu’il puisse être de concilier les exigences de la maternité avec le fait d’être une sénatrice, je suis loin d’être le seul parent à travailler, et mes enfants ne font que renforcer mon engagement à accomplir ma mission et à défendre les familles qui doivent travailler dur», écrit-elle dans un communiqué.
Bryan, Abigail and I couldn’t be happier to welcome little Maile Pearl as the newest addition to our family and we’re deeply honored that our good friend Senator Akaka was able to bless her name for us—his help in naming both of our daughters means he will always be with us. https://t.co/KXyNf65KxA
— Tammy Duckworth (@SenDuckworth) April 9, 2018
Tammy Duckworth a décoré ses prothèses. L’une est aux couleurs du drapeau américain, l’autre souvent en tenue de camouflage, avec l’inscription «Fly Army». Malgré les coups durs, elle a développé une incroyable joie de vivre et un certain sens de l’humour. La sénatrice est aussi du genre tenace, à ne pas mâcher ses mots. «Je ne vais pas me laisser donner des leçons sur les besoins de nos militaires par un homme ayant échappé à cinq reprises à la conscription», a-t-elle récemment lâché à l’intention de Donald Trump.
La petite Maile Pearl risque bien d’être témoin d’autres tirades de ce genre. Qu’elle en profite: quand elle aura soufflé sa première bougie, elle n’aura plus le privilège de pouvoir «siéger» au Sénat.
Figures inspirantes
Pearl Bowlsbey Johnson, officier et infirmière pendant la Deuxième Guerre mondiale, grand-tante de son mari
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