«J’ai peur pour GAB, Andrew. Avec cette nouvelle atmosphère en face de nous, GAB va certainement être attaqué et obligé de fermer. J’espère qu’il y a un plan B. On a tous besoin de la Liberté d’expression. C’est le fondement de la liberté humaine», écrit @Spurge, quelques heures après l’assaut contre le Capitole.

Andrew, c’est Andrew Torba, le fondateur et patron du réseau social radical GAB, lancé en 2017, et qui depuis a été retiré des magasins d’applis en raison de ses messages racistes, haineux et touchant au fascisme. La plateforme ne contient «aucun contenu de marque avec des pubs contre les Blancs, les chrétiens, les Américains, pas de mauvaise conscience du type To Kill a Mocking Bird, aucun politicien qui a trahi, aucune fraude contre les conservateurs, presque zéro communiste et pas de pornographie», préfère expliquer fièrement sur la page d’accueil Andrew Torba.

«Gauchocratie socialiste totalitaire»

«J’ai tant d’amis, de parents, de «Gabbers» qui cherchent des solutions et du réconfort après ce qui s’est passé. Je m’en remets à Dieu et le prie. Dieu a un plan. Il faut avoir confiance en lui et en lui seul», écrit encore Torba. «Tous ces gens au Capitole qui pleurnichent qu’ils ont eu peur pour leur vie. Qu’ils arrêtent d’être payés pendant 9 mois et on verra ce qu’ils disent après», s’exclame @rebelgirl54. «Les patriotes ont trois choix maintenant, écrit @IncipitZarathoustra: se soumettre et vivre dans une gauchocratie socialiste totalitaire, appeler à la sécession des Etats rouges [conservateurs] ou la guerre.»

GAB est une petite bulle de niche, diront certains. Mais plusieurs réseaux fermés similaires ont vu le jour ces dernières années, pour entretenir une conversation plus spécialisée, une sous-culture particulière, et pour accueillir les bannis des réseaux traditionnels, ces «déplateformés» – le mot est très tendance depuis que Steve Bannon, l’ancien conseiller de Donald Trump, a été «déplateformé» de Twitter en novembre lorsqu’il a appelé à la décapitation du médecin de la Maison-Blanche Antonio Fauci et de Christopher Wray, le directeur du FBI. D’ailleurs le magazine Verge appelle depuis ce funeste 6 janvier Twitter, Facebook et YouTube à «déplateformer» Donald Trump (Mark Zuckerberg a annoncé publiquement que Donald Trump serait privé de Facebook et Instagram au moins jusqu’à l’investiture de Joe Biden, le 20 janvier).

Mais les déplateformés atterrissent généralement… sur d’autres plateformes, peut-être moins puissantes, mais plus accueillantes, et plus fermées encore, parfois difficilement accessibles aux regards extérieurs. Rumble, cette application de partage de vidéos «où vous ne serez jamais censuré pour des contenus politiques ou scientifiques», GAB, Telegram, Parler… Messageries, réseaux, tout est bon à prendre. Et dès qu’on s’y plonge, on lit la colère contre «l’élite», le deep state (ces fonctionnaires et bureaucrates qui détiennent le vrai pouvoir), les techtyrants ou les bigtechs, les médias, les lobbies pharmaceutiques, les féministes, les antiracistes, et d’autres encore.

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L’assaut contre le Capitole applaudi

Des groupes sur Telegram, très prisé de la droite radicale, se sont ainsi réjouis ces dernières heures des événements au Capitole. «On attendait ce moment depuis si longtemps», écrit l’un, ou encore «C’est mieux que Noël», se réjouit l’autre. «La fin du capitalisme est simplement un début – on n’a encore rien vu», menaçait @Accelerationistdump, trois jours avant les émeutes du Capitole (les «accélérationnistes» pensent qu’instaurer la terreur accélérera la chute des gouvernements à l’ancienne, ce qui arrivera quand les conservateurs traditionnels accepteront de recourir à la violence). Une vidéo montre la façon dont la police a organisé la manifestation, en répartissant les personnes avec des barrières – enfin c’est ce qu’affirme l’utilisateur qui la publie, la vidéo étant très peu explicite. Une autre montre du matériel vidéo de reporters en train de brûler – le film a été vu plus de 100 000 fois.

Le nouveau réseau qui fait le plus parler de lui s’intitule justement «Parler», très investi par les conservateurs déçus après l’élection de Joe Biden. Parfois surnommé «le Twitter de la droite», ce fut l’application la plus téléchargée la semaine qui a suivi le scrutin sur l’App Store et Google Play, selon le site spécialisé Techcrunch, passant de 4,5 à 8 millions d’inscrits en quelques jours. Un républicain ruant dans les brancards comme le sénateur Ted Cruz y a un compte (il est prudemment resté chez Twitter aussi). Comme le président Trump et sa famille, comme leur avocat Rudy Giuliani, comme les animateurs de la scène médiatique conservatrice et «alt-right» (droite alternative, très traditionnelle et extrême) Sean Hannity, Laura Ingraham et d’autres.

«Fake news» et compagnie

L’assaut contre le Capitole y est abondamment commenté. «Ils vont saisir ces événements pour se débarrasser de tous les partisans de Trump», redoute @Americasangel. «S’il faut restreindre et censurer la voix du peuple pour que le pays reste sûr, alors notre pays est déjà perdu», explique le patron de Parler, John Matze, repris par @FansofTrump, à propos de la «censure des oligarques de Facebook et Twitter». Une photo d’Obama sur la passerelle d’un avion, présenté comme détenu alors qu’il tentait de s’enfuir (alors qu’il y est drôlement souriant): les fake news sont abondantes, avec de nombreux montages photo assez grossiers. Un message pour exiger le big reset (un nouveau départ), un pour louer les «vrais patriotes» qui doivent «exiger» leurs droits parce qu’on ne les leur donnera pas…

Pour Laura Loomer, candidate des républicains à la Chambre des représentants malheureuse en Floride en 2020, anti-islam, complotiste, comptant 1,5 million d’abonnés, et qui se présente comme la femme la plus censurée des Etats-Unis, «c’est fini. Les démocrates contrôlent maintenant les 3 branches du gouvernement – l’exécutif, le législatif et le judiciaire. La vie va devenir très dure pour les conservateurs en Amérique, qui seront ciblés comme jamais.» Le rôle des militants antifascistes est aussi très discuté. La manifestation n’aurait-elle pas été infiltrée par des antifas qui voulaient discréditer les vrais patriotes? «Pelosi et sa bande vont tout faire pour continuer d’infliger un maximum de dégâts à notre pays, continue l’animateur très populaire Mark Levin. Tant pis pour l’unité du pays. Il est vital qu’ils soient battus en 2022. Et je prédis qu’ils le seront. Bien sûr, les médias sont derrière tout cela…»

A celles et ceux qui en douteraient encore, l’assaut contre le Capitole a montré combien ces parloirs virtuels sont devenues importants et réels. Entre censure et préservation de la conversation publique, la radicalisation de la scène politique n’offre plus qu’un chemin très acrobatique.