Elle fait rage depuis plusieurs mois. La «bathroom war» ou guerre des toilettes continue de susciter l’un des débats sociétaux les plus vifs de ces dernières années aux Etats-Unis. Sujet de la controverse: l’identité sexuelle. La semaine dernière, les Départements américains de la justice (DoJ) et de l’éducation ont envoyé une directive à toutes les écoles publiques du pays les sommant d’autoriser les élèves transgenres à utiliser les toilettes et vestiaires correspondant à leur identité sexuelle. Si la mesure n’a pas force de loi, la sanction pourrait être dissuasive: suppression des subventions fédérales. Pour l’administration de Barack Obama, reconnaître un tel droit aux transgenres s’inscrit dans la logique d’un renforcement des droits civiques et de la légalisation du mariage gay à l’échelle fédérale. Cette semaine, la ministre de la justice Loretta Lynch a livré un plaidoyer en faveur des transgenres: «Nous sommes à vos côtés et nous ferons tout pour protéger vos droits. Sachez que l’Histoire est de votre côté.»

Si nombre de membres de la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) ont salué la décision de la Maison-Blanche, des parents, politiciens, écoles et Etats se sont rebellés. Ils disent craindre une érosion de la sphère privée dans un lieu, en particulier les vestiaires, où l’intimité de chacun est en jeu. Ils y voient aussi un risque de voyeurisme voire d’actes pédophiles.

Le sujet fait désormais l’objet d’un vrai Kulturkampf à l’américaine. Aucune court de justice n’a pour l’heure tranché sur la question de savoir si les lois interdisant la discrimination sexuelle s’appliquent aux cas relatifs à l’identité sexuelle. Mais le combat juridique est soutenu. Il y a quelques jours, le DoJ a porté plainte contre l’État de Caroline du Nord qui a adopté une loi interdisant les transgenres à se rendre dans les WC de leur choix. A son tour, la Caroline du Nord a porté l’affaire devant la justice, estimant que l’administration démocrate surinterprète la loi sur les droits civiques de 1965 et la clause de non-discrimination sexuelle. Véhiculant leur propre avis ou souvent celui de leurs parents, des élèves contre-attaquent. Ils portent des tee-shirts «Straight Pride» montrant le symbole d’une femme et d’un homme pour souligner leur hétérosexualité. Si la tolérance envers les transgenres a progressé, les plus réfractaires estiment qu’on impose à la majorité des règles concernant une infime minorité, les transgenres. Le clivage est souvent entre urbains et ruraux, mais aussi entre riches et plus démunis.

Les transgenres sont estimés à 1% voire 2% de la population. Jugés vulnérables, ils font régulièrement l’objet d’intimidations ou de harcèlement. Le taux de suicide parmi eux est élevé. Le quotidien des élèves transgenres est parfois rempli d’écueils. Il arrive que des filles s’identifiant en garçons hésitent à emprunter les toilettes de ces derniers quand elles ont leurs menstruations. D’autres préfèrent utiliser le petit coin en catimini aux heures de récréation ou à la pause de midi. Quand ils sortent du cadre scolaire, certains craignent de se faire prendre à partie par des hétérosexuels au cas où ils utiliseraient les toilettes de l’autre sexe. Dans une école de Durham, en Caroline du Nord, on est plus ouvert. L’établissement a affiché une signalétique empreinte d’humour sur la porte des toilettes: une figure représentant pour une moitié une femme, pour l’autre un homme avec cette indication: «Whichever» ou «We don’t Care (on s’en fiche)» pour dire que le lieu est sexuellement neutre. Nombre d’enfants mettent du temps à trouver leur véritable identité sexuelle. Psychologues et éducateurs les décrivent parfois comme «gender-creative» ou «gender-fluid».

Or l’une des principales pommes de discordes entre les deux camps a trait précisément à la définition de l’identité sexuelle. Selon la directive de l’administration Obama, il suffit qu’un parent ou représentant légal indique que l’identité sexuelle de l’élève diffère de celle inscrite dans les documents officiels pour que l’école la prenne en compte. Nul besoin d’un certificat médical ou de naissance. C’est ce qui dérange des jeunes filles par exemple devant partager leurs toilettes avec un camarade qui affirme une identité sexuelle féminine, mais qui n’a pas changé d’anatomie. Un grief qui ne va pas sans rappeler le cas de Caitlin Jenner qui annonçait en grande pompe, dans Vanity Fair, qu’elle ne se sentait plus dans la peau de l’ex-décathlonien Bruce Jenner sans toutefois recourir à la chirurgie. Aujourd’hui, nombre d’Américaines refusent de voir leur cause défendue par celle qui a été l’une des 25 femmes honorées par le magazine Glamour lors de sa cérémonie de «femme de l’année».

Professeur émérite de droit de Yale, Peter Schuck est d’avis que l’administration Obama a «tronqué» le débat. Il le souligne: «Il y a relativement peu d’Américains qui considèrent l’accès aux toilettes comme une problématique liée aux droits civiques.» Sans véritable débat public, le professeur craint un retour de flamme.